Par Jacques Roux
Je rabâche, j’en suis conscient, pourtant je ne cesserai de le répéter : avant de penser quoi que ce soit et, a fortiori, dire quoi que ce soit, d’une œuvre d’art il faut prendre le temps de s’approcher au plus près de ce qu’elle offre à nos sens. Lire, contempler, écouter. C’est-à-dire faire le vide en soi pour ne laisser place qu’à cet objet qui nous vient du dehors et qui, même s’il porte un titre prestigieux, s’il fait ou a fait l’objet de mille commentaires, même si d’autres en rient ou nous chantent ses louanges, plonger en lui, curieux, attentif, aux aguets même : toute œuvre demande du temps pour s’ouvrir à nous. Il en est ainsi de nos rapports avec les hommes : comprendre l’autre, sa différence, demande du temps, de la patience.
Face à l’œuvre d’art les premières questions doivent être naïves : qu’est-ce que je perçois, concrètement parlant ? On peut ensuite, même si tout vient dans le même flux, se demander : qu’est-ce que je ressens ? Et tirer cela au clair, les sensations, les sentiments sont plus confus, plus complexes qu’on ne le croit. La question jamais urgente et non nécessaire (sauf pour qui intervient dans le champ médiatique. Mais alors il ne s’agit plus de penser, juste de se conformer au moule prédéfini par le contexte) ce sera : que faut-il en penser ?
Cet impératif : s’imprégner de l’œuvre d’abord, avant d’en arriver à songer émettre un jugement, est de sagesse et devrait s’imposer naturellement. Mais la nature humaine est ainsi faite que la bile, comme disaient les médecins de Molière, prend facilement le pas sur la raison. La bile de Mme Bridget Alsdorf, quand elle publia un essai sur « Coin de table » de Fantin-Latour (in le catalogue de l’exposition « Fantin-Latour A fleur de peau » – RMN 2016) devait être sérieusement agitée car ce malheureux tableau sur qui, avant même de le contempler, elle avait un « point de vue », elle n’aura de cesse dans les huit pages de son pensum d’en proposer une lecture conforme à ses présupposés. Une lecture forcément déconcertante et parfois franchement ridicule. Je vais m’employer à rendre à César, Henri Fantin-Latour en l’occurrence, ce qui lui est dû et restituer à Mme Bridget Alsdorf ce qui ne relève que d’elle.
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