De l’arbre à la pierre : La noyeraie – Notre-Dame des Champs
Depuis la naissance de l’association « Saint-Vérand Hier et Aujourd’hui », les Journées du Patrimoine sont devenues un rendez-vous obligé à Saint-Vérand (Isère). L’occasion à chaque fois de porter le regard et l’attention sur une des richesses de la commune, richesse parfois méconnue.
Pour l’édition 2015, sous l’impulsion de Michel Jolland son président, l’association avait décidé d’aborder deux thématiques, l’une consacrée à la noyeraie, l’autre à la sculpture Notre-Dame des Champs qui surplombe le village depuis plus de soixante ans.
La noyeraie, son histoire et son devenir
La noyeraie et son fruit, la noix, font partie intégrante de l’histoire du village et de ses habitants. Aussi loin que remontent les souvenirs et les récits de souvenirs, on ne saurait parler de Saint-Vérand sans parler de la noix. Pour les plus anciens toute une partie de leur enfance tourne autour d’épisodes impliquant la noix, délicieusement évocateurs du charme de la vie d’antan. Comment ne pas se remémorer la gaule dont se servaient les hommes pour faire tomber le fruit ? Elle exigeait force, souplesse et dextérité. Pour les jeunes elle était prétexte à jeux : lequel était assez costaud pour la tenir droite sans qu’elle lui échappe des mains ? Il y avait surtout, en ces temps où la télé, les jeux vidéo et autres gadgets n’occupaient pas les soirées, les « mondées » pendant lesquelles, tous âges et sexes réunis, on libérait le cerneau de son habitacle après que les noix eussent été cassées avec la traditionnelle « massette » en bois. C’était, parmi les enfants, à qui serait le plus habile et le plus rapide. Les « grands » eux n’avaient pas cette préoccupation : leur habileté était héritée de longues années de pratiques, et la rapidité allait de soi. Au-delà de l’occasion de jouer, que l’enfance trouve en toute situation, la soirée permettait surtout d’entendre ce type de récits que les adultes abordent lorsqu’ils sont entre eux, récits pas toujours destinés aux chastes oreilles, parfois brutaux, toujours décalés par rapport au quotidien, plus drôles, plus irrévérencieux, une sorte de porte entrouverte sur le monde mystérieux des grandes personnes. A quoi s’ajoutaient les gourmandises, les sirops. Et il faut se souvenir de ce moment de l’année, dès la fin septembre, où les mains du village se mettaient à noircir. Il y avait une sorte de fierté, le matin à l’école, à montrer ses mains maculées, pour la bonne cause…
C’est à M. Gérard Jany qui fut un des professionnels, et un des cadres, du secteur que Michel Jolland avait confié la responsabilité de l’animation de cette séquence. Il s’en acquitta avec aisance, conduisant son exposé avec rigueur sans empêcher l’échange ni le questionnement. Il débuta par un bref rappel historique qui, pour certains, fut une révélation : la noix, ce fruit si français, si lié au passé de nos bonnes vieilles campagnes dauphinoises, était originaire de Perse ! En vertu de quoi il convient de se montrer plus que prudents avec les questions « d’appartenance », de « patrimoine hérité » et de « racines »…
Mais le propos de M. Jany, évidemment n’avait pas à soulever pareilles questions : il s’intéressa plutôt à la manière dont on cultivait la noix autrefois, ou plutôt il mit en évidence le changement de statut de la production de noix dans la profession agricole. Autrefois simple appoint économique, auquel on consacrait le minimum de temps et de soins, elle est devenue au fil du temps une culture en soi, nécessitant des techniques (et des outils), des pratiques et une gestion spécifiques. Du coup, entretenir une noyeraie, récolter, vendre des noix impose d’entrer dans le système économique qui englobe aujourd’hui toute production. Outillage et manières de faire n’ont plus rien à voir avec le passé. Il faut viser l’efficacité, c’est-à-dire une productivité accrue, le gain de temps et d’argent. Les noms savoureux des variétés jadis trouvées au bord des chemins, Chaberte, Ronde… ont peu à peu laissé place aux variétés plus rentables, plus propices à séduire la clientèle, la Franquette, la Mayette, la Parisienne. Sont apparues aussi d’autres espèces, des noyers différents, plus commodes à entretenir, à protéger à récolter. M. Jany avait d’ailleurs choisi, pas très loin du cœur du village, un lieu significatif, d’un côté une noyeraie « à l’ancienne », de l’autre une noyeraie « modern style » : l’arbre ici portant la « Lara ». Décision judicieuse, elle permit aux participants de découvrir que ces stratégies n’avaient pas seulement des incidences culturales et économiques, elles entraînaient aussi une modification évidente du paysage. Les paysages qui nous semblent n’être victimes que des méfaits de l’urbanisation, construction de cités, aménagements routiers, etc. ont aussi partie liée avec l’agriculture. Quand on abandonne un certain type d’élevage, quand on introduit une nouvelle culture, c’est le paysage qui bouge. Il suffisait ce jour-là, en écoutant M. Jany, de tourner la tête pour s’en rendre compte.
N’allons pas plus avant : l’exposé de M. Jany était d’une grande richesse, il fit un sort aux concurrences, souvent féroces qui opposent certaines régions en France même et à celles, encore plus cruelles, qui se font jour à l’échelle mondiale. Pour ses auditeurs, il devint évident que le temps du panier de savoureuses noix offert par le paysan voisin était révolu : désormais ce sera la guerre au supermarché entre des noix qui ne ressembleront pas nécessairement à des noix, et n’en auront peut-être plus le goût.
Notre-Dame des Champs et ses deux pères
Nous avons longuement sur ce site développé notre réflexion autour de Notre-Dame des Champs, œuvre monumentale confinée à sa vocation religieuse, puis quelque peu oubliée et aujourd’hui rendue à sa vocation d’œuvre d’art, longtemps négligée. Nous ne reviendrons donc pas sur le détail de ces points qui firent l’essentiel du propos de Michel Jolland et de Jacques Roux. Nous soulignerons cependant que, partisans du partage des tâches, ces deux vaillants défricheurs du patrimoine saint-vérannais abordèrent l’histoire du monument l’un par le versant Jasserand, l’autre par le versant Donzelli.
Michel Jolland rappela, avec sa maîtrise des données historiques et un rien de malice, le grand art de ce curé hors du commun, qui savait « lever des troupes et des fonds », selon la formule d’un vénérable ecclésiastique grenoblois. L’apparition d’une sculpture géante sur le coteau qui surplombe le village, le Châtelard, doit tout à l’obstination, à l’intelligence, à la rouerie subtile, au service de la « bonne cause », de celui qui se voulait le « Pasteur de la paroisse ». Selon Michel Jolland, il avait compris, bien avant l’Eglise officielle, que les temps bénis où les ouailles se pressaient dans les chapelles tirait à sa fin et qu’il fallait offrir aux « Fidèles », sinon du pain et des jeux, du moins des possibilités de rencontres spectaculaires, des moments de communion publique et festive. Des processions, des prières en plein air et l’hommage rendu, à mi-chemin entre le Ciel et la Terre, par une Madone aux bras garnis de blé et de raisin, au peuple agricole, voilà le remède qu’il avait imaginé à la désertion des lieux de culte. C’était bien vu, mais l’histoire va plus vite que les idées, et le chemin caillouteux qui conduit à Notre-Dame freina les élans : il eut fallu une autoroute.
De son côté Jacques Roux porta l’accent sur l’homme qui travailla la pierre. Le projet du curé Jasserand demandait une œuvre qui ait une aura et qui, on vient de le dire, parle aux villageois la langue de leur quotidien, celle des saisons, des travaux des champs. L’artiste choisi, on le connaissait d’autant moins au village qu’il fut très peu, et très allusivement, question de lui avant, pendant et après l’installation de sa Madone. Né en Italie, cet artiste au destin baroque, poursuivi par la haine fasciste, vint en 1940 se réfugier à Valence avec son fils Dante. Lui, c’était Duilio. Tous deux nommés Donzelli, tous deux peintres, sculpteurs. Pour identifier « le » Donzelli à qui l’on doit la Dame Blanche du Châtelard, il fallut mener l’enquête. Mais, en identifiant l’auteur, Duilio Donzelli, c’est toute une famille d’artistes qui sortit du chapeau ! Une famille à qui la Drôme, l’Isère, l’Ardèche comme le Luxembourg, la Meuse, les Vosges, doivent de multiples monuments, sculptures, fresques, sans parler de peintures, dessins, mosaïques ! Une famille toujours sous les feux de l’actualité puisque le nom de la petite fille de Duilio brille aujourd’hui au fronton des salles de cinéma.
Promenades
La journée s’acheva sur deux promenades.
La première en plein air : on rendit visite à cette Madone esseulée, nous parlerons ailleurs, plus tard, de l’état préoccupant dans lequel elle se trouve, notons juste qu’il y eut une certaine émotion à l’approcher en rêvant à travers elle les deux hommes à qui elle doit sa présence désormais intemporelle. Michel Jolland agrémenta le parcours en contant de multiples anecdotes permettant de rappeler le courage et les efforts de tous ceux (et parmi eux, bien sûr, des femmes) qui tracèrent le chemin, qui permirent aux lourds blocs de pierre de gravir la pente, qui érigèrent le socle et enfin installèrent la silencieuse gardienne des jours et des nuits saint-vérannaises.
L’autre fut d’intérieur, et inattendue. Ouverte par hasard à cette heure et ce jour, l’église du village (ou plutôt la personne qui en avait la responsabilité) permit de s’attarder un instant devant les cinq prodigieux tableaux qui ornent son chœur. Michel Jolland retraça rapidement leur origine : comment le curé Rey les acheta et les installa dans ce qui était la « nouvelle église ». Jacques Roux donna quelques éléments pour situer ces excellentes copies vis-à-vis de leurs prestigieux modèles, dus à Léonard de Vinci, Raphaël, Da Volterra, Mengs.
On salua aussi la maquette, façonnée par Duilio Donzelli, de Notre-Dame des Champs. Cette Journée du patrimoine permit donc de faire les comptes : la Commune de Saint-Vérand possède DEUX Donzelli. Saura-t-elle leur faire honneur ?