Le toilettage de la copie de la Madone Sixtine rend visible une signature jusqu’ici purement hypothétique
(par Michel Jolland)
Cinq copies de maîtres sur la sellette
A Saint-Vérand, depuis la fin des années 2000, les cinq tableaux disposés dans le chœur de l’église, copies de Vinci, Raphaël, Mengs et da Volterra, mobilisent l’attention de tous ceux qui s’intéressent aux richesses de la commune. Une publication en 2008, signée Michel Jolland/Jacques Roux a été suivie de deux autres, des mêmes auteurs, en 2018 et 2020. La dernière en date, intitulée « Les Cinq Merveilles de l’église de Saint-Vérand (Isère) » – éditée par l’association Saint-Vérand Hier et Aujourd’hui, Cahier hors-série n°11, janvier 2020 – réactualise tout ce qui été mis à jour en une dizaine d’années et fait le point sur les questions restant ouvertes, celle de l’identité des copistes étant des plus importantes. Dans le même temps, il importe de le souligner, la mise en lumière de l’intérêt incontestable de ces tableaux a fait prendre conscience de la nécessité de les préserver. C’est ainsi que le plus grand d’entre eux, la copie de « La Cène» d’après Léonard de Vinci, a été restauré. Les quatre autres ont ensuite bénéficié d’une intervention de conservation préventive, les 17 et 18 février 2020 pour être précis.
Ce que disent les archives
Les archives communales conservent quelques indications sur l’origine des « Cinq Merveilles ». Après avoir, avec l’aide de ses paroissiens, reconstruit l’église en 1836-37, le père Rey, énergique curé de Saint-Vérand, engage la décoration du bâtiment. Dans le livre de comptes qu’il tiendra de 1836 à 1867, il indique notamment : « 1856. J’ai fait faire le tableau de la Cène, la toile et le cadre ont coûté 700 f. » ; « 1857. J’ai fait faire deux autres tableaux : La Sainte Famille et la Madone ; 1866. J’ai acheté deux tableaux : La descente de Croix et la Nativité de NSJC ».
Une identification intrigante
L’une des interrogations mentionnées dans la publication de Janvier 2020 concerne les propos du père Jasserand, curé de Saint-Vérand de 1937 à 1978, personnalité encore bien présente dans les mémoires. Dans une note probablement rédigée au milieu des années 1970, il s’intéresse à la Cène et aux quatre tableaux disposés autour du Chœur, selon lui « offerts en 1860 par l’Impératrice Eugénie ». Dans la foulée, il déclare « La Madone Sixtine » réalisée en 1857 par le copiste Zaleski. Aucune signature n’étant visible, ni à hauteur d’homme, ni sur les photographies prises tant bien que mal au sommet d’escabeaux hasardeux, ces déclarations seront la cause jusqu’en janvier 2020, d’une constante perplexité : « Faute de signature et de tout document nous ignorons encore la source de cette information » peut-on lire page 16 du Cahier n° 11 déjà cité, au sujet du nom avancé par le curé Jasserand.
Des indications précieuses
La réponse viendra quelques jours après, apportant, s’il en était besoin, la preuve que l’humilité est de mise lorsque l’on se préoccupe de restituer le passé. Les 17 et 18 février 2020, l’opération de conservation préventive nécessite la dépose et le « décadrage » des tableaux. Des détails jusqu’alors invisibles apparaissent. C’est ainsi que le rapport d’intervention apporte deux précisions importantes au sujet de la « Madone Sixtine » : premièrement, la copie est « signée, datée en bas à senestre S. Zaleski 1857 », deuxièmement, le revers de la toile porte l’inscription « 101 (manuelle à la craie noire) ». Cette deuxième précision est à rapprocher de celles formulées au sujet d’une autre copie d’après Raphaël, la « Grande Sainte Famille » : la toile porte au revers l’inscription « 102 (manuelle à la craie noire), 98 (encre au pochoir) » et elle « semble de même nature que celle de la copie de la Madone Sixtine ».
Des confirmations
On peut tirer trois conclusions prudentes de ces données. Premièrement, la signature découverte sur la « Madone Sixtine » confirme l’assertion du père Jasserand : le tableau a effectivement été peint par S. Zaleski. Deuxièmement, la datation confirme les écrits du père Rey : le tableau a été peint en 1857. Troisièmement, la continuité dans la numérotation des toiles, 101 pour la « Madone Sixtine », 102 pour la « Grande Sainte Famille », ainsi que la similitude dans la composition du matériau lui-même correspondent là encore aux déclarations du père Rey : les deux tableaux datent de 1857. Il convient cependant de noter que seule la « Grande Sainte Famille » présente une numérotation complémentaire au pochoir. Ces données semblent par ailleurs contredire la version du don de L’Impératrice avancée par le père Jasserand. C’est là un autre débat.
A la recherche d’un copiste nommé S. Zaleski
Pour qui se préoccupe des tableaux de l’église de Saint-Vérand, découvrir la signature de l’auteur de la « Madone Sixtine » constitue une avancée appréciable. Reste à savoir qui est le peintre S. Zaleski, comment le père Rey est entré en contact avec lui et quelle a été la genèse de cette copie saint-vérannaise, à bien des égards différente de son modèle comme on peut le lire dans la publication de janvier 2020 mentionnée plus haut. Les informations recueillies à ce jour concernent uniquement l’identité du peintre et encore sont-elles très parcellaires. La base de données Arcade, qui recense les œuvres d’art acquises, commandées ou gérées par l’État et les collectivités territoriales, de 1800 à 1969, signale quatre tableaux réalisés par un certain Stanislas Zaleski. L’un d’eux, « La Vierge et l’Enfant Jésus », d’après Murillo, est en dépôt depuis 1874 à la mairie de Saint-Ismier. Sous réserve d’inventaire, il est de bonne facture et ne présente pas de signature visible. Les recherches auprès des autres attributaires sont en cours.
A ce jour, 17 avril 2020, beaucoup d’inconnues demeurent sur le parcours personnel et professionnel de l’auteur de la « Madone Sixtine » de Saint-Vérand. Mais les avancées enregistrées encouragent à prolonger la quête du peintre nommé S. Zaleski, entré dans le patrimoine religieux et communal du village il y a un peu plus d’un siècle.