A la maison du Barret, dans les années 1950, le traditionnel panier à verres était accroché au mur, maintenu à l’horizontale par un « crochet carré », placé à bonne hauteur pour être hors de portée des enfants. Comparativement à ceux que nous connaissons aujourd’hui, les verres étaient lourds, faits d’un verre épais pas vraiment transparent parfois émaillé de quelques bulles d’air piégées au cours de la fabrication. Comme on n’aimait pas jeter les objets, les verres étaient souvent dépareillés et il n’était pas rare d’en trouver plus d’un ébréché ou fêlé.
A cette époque, l’entraide était de rigueur pour les gros travaux de la ferme et il était de bon ton de ne pas laisser « péter de soif » les voisins, amis ou ouvriers occasionnels venus donner un coup de main. Au champ comme à la maison, on servait le « canon ». Geste plus délicat qu’on pourrait le penser. Quiconque faisait des « faux-cols » était aussitôt traité de « rapia ». A l’inverse, « en mettre plus haut que les bords » était une inconséquence confinant au sacrilège : « gaspiller du vin, si c’est pas malheureux ! ».
On raconte qu’une année un « propriétaire » plutôt aisé s’avisa d’utiliser, jour après jour, un verre passablement ébréché pour abreuver ceux qui étaient venus l’aider pour les foins. Négligence ou petit calcul ? Toujours est-il que la contenance du verre se trouvait notoirement réduite. A chaque « canon », notre homme déclarait mi-figue mi-raisin : « il va falloir que je le change ce verre » !
Le verre a fini par disparaître mais l’histoire est restée…
Michel Jolland