La cabote était un élément obligé du décor rural saint-vérannais. Ces petites baraques de planches, tout de guingois, théoriquement destinées à ranger les outils de première nécessité, les vestes, le litron, remplissaient en outre de multiples fonctions. Pas toutes avouables d’ailleurs, mais ici on ne cafarde pas. Elles servaient, si nécessaire, de repère : « Rendez-vous près de la cabote du Victor… ». Voire de refuge : « J’ai besoin de ton père, il est où ? – A sa cabote, je crois : il range ». Elles rassuraient surtout. Leur présence soudaine au détour d’un chemin, à la lisière d’un champ, aux abords d’un bois, signifiaient qu’ici vivaient des hommes, travailleurs de la terre, durs au mal certes, mais bons vivants : la cabote c’était aussi la blague, la goulée de vin rouge partagée avec le visiteur ou le compagnon de labeur. La présence d’une cabote au cimetière paraissait à la fois incongrue et logique. Incongrue au milieu de tous ces morts, logique puisqu’il fallait bien ranger quelque part les outils des cantonniers. Elle corrigeait en tout cas l’impression de tristesse délivrée par ce lieu dédié au regret, comme si, à la manière du phare aperçu du navire en détresse, sa présence signifiait que, tout près, la vie continue.
Mais la cabote du cimetière a disparu. Autres temps, autres mœurs : à sa place, tout de blancheur, se trouve le « jardin du souvenir ». Le sien, de souvenir, s’est déjà perdu.
Jacques Roux