A Saint-Vérand le copiste de la Cène a entouré le visage du Christ d’un nimbe (ou auréole) qu’on ne voit pas dans la Cène de Léonard de Vinci, ni dans aucune copie historique, (Ecouen, Tongerlo) ni dans la gravure de Morghen qui a servi de référence à nombre de copies, dont celle de Saint-Vérand.
Les auréoles vagabondes
L’auréole est une des conventions de l’iconographie catholique. Elle permet de désigner outre Jésus, sa mère et Joseph, toute personne touchée par la grâce divine : les apôtres, les saints. Nous ne nous attarderons pas, dans ces quelques lignes, sur les nuances de vocabulaire (nimbe, auréole, gloire, etc.), ni sur l’histoire même de cette figuration supra naturelle qui remonte sans doute aux origines de l’humanité (on en trouve les traces en Grèce, en Egypte…), et que les premiers Chrétiens ont empruntée à l’iconographie de la Rome impériale. La peinture jusqu’à la Renaissance, l’imagerie populaire (images offertes au moment de la communion solennelle par exemple) jusqu’à nos jours, dotent d’une auréole, un cercle lumineux entourant le visage, tous les êtres qui doivent être signalés et reconnus pour leur dignité ou leur martyre. Dans la grande tradition des peintures « avec donateurs » (les commanditaires du tableau, représentés près de Jésus, Marie, et de divers saints), les seuls n’étant pas dotés d’une auréole étaient justement ces donateurs. Puis la tradition s’est perdue, essentiellement parce que les peintres ont voulu traduire directement la transcendance par leur art et non pas seulement la montrer du doigt.
L’une des curiosités des cinq copies de toiles de maître possédées par l’église de Saint-Vérand (nous renvoyons pour plus de détails à la publication de l’association SVHA : « Les cinq merveilles de l’église de Saint-Vérand » – Mairie de Saint-Vérand 38) est qu’elles jouent avec ces auréoles sans se référer nécessairement aux peintures originales. Ainsi la copie de la « Déposition » de Daniele Volterra en dispose une autour du visage du Christ alors que da Volterra ne l’a pas fait. Le copiste a-t-il pensé que le visage cadavérique du Christ allait tourmenter le fidèle ? A-t-il voulu le rassurer ? Lui dire en quelque sorte : « N’aie crainte ! Sa mort n’est qu’un passage (comme la tienne) : la sainte lumière ne L’a pas abandonné ! » Par contre, le copiste de la « Sainte Famille » (d’après Raphaël) n’a pas jugé bon de reproduire les auréoles visibles dans l’original. Il est possible que l’idée était de montrer, dans ce tableau destiné à une église rurale, que la Sainte Famille était une vraie famille, susceptible de servir de modèle à toutes les familles. L’auréole aurait trahi ce message de simplicité et d’exemplarité.
A Saint-Vérand les auréoles sont vagabondes…
Une manière comme une autre, pour ces peintures déférentes autant qu’irrévérencieuses, d’inciter notre œil à les contempler avec attention.
Jacques Roux