Professeur agrégé et docteur ès lettres, Paul Berret (1861-1943) est connu comme écrivain, historien, poète, journaliste, conférencier. Ses travaux sur Victor Hugo et ses récits tissant la légende d’une région qu’il aimait par-dessus tout, le Dauphiné, lui valent aujourd’hui encore une notoriété nationale et restent le témoignage vivant d’une vie consacrée à offrir au plus grand nombre l’accès au savoir et au rêve. Il fut reçu membre titulaire de l’Académie Delphinale le 29 mai 1937. Les plus âgés se souviennent qu’à l’école communale on apprenait son poème « Les brûleurs de loup » et que sa « Petite histoire du Dauphiné », format livre de poche, avait quitté les bancs de l’école pour s’infiltrer dans la plupart des familles, auxquelles elle apprenait tout, des temps barbares à la « modernité » de la fin du XIXème siècle.
A Saint-Vérand, commune où il vécut, écrivit et mourut, une plaque fut apposée en son honneur le 16 décembre 2015 sur le mur d’enceinte du cimetière, à l’initiative conjointe de l’association « SVHA » et de la Municipalité. Pour ce moment solennel Raymond Joffre, président en exercice de l’Académie Delphinale, et Michel Jolland, membre titulaire, entouraient le maire de Saint-Vérand.
Or cette plaque d’hommage à sa personne et à son œuvre a été vandalisée fin juillet.
C’est un acte haineux et stupide qui contraste avec l’esprit d’ouverture, de tolérance, de bienveillance qui anime l’œuvre d’un intellectuel que Saint-Vérand devrait s’honorer d’avoir compté parmi les siens. L’Académie Delphinale, elle, n’a pas oublié qu’il reste l’un des plus grands écrivains régionaux à avoir siégé dans ses rangs. Même si la classe médiatique, dont la mémoire est à (très) court terme, le néglige ostensiblement, ses livres de contes et légendes du Dauphiné continuent à se vendre, édités parfois de façon cavalière, l’œuvre étant tombée dans le domaine public. Il suffit de contempler la plaque vandalisée pour comprendre que c’est peut-être cela qui a été visé : l’intelligence rare et le talent rare d’un homme, dont on s’est acharné à effacer le visage. La jalousie et la bêtise peuvent, c’est vrai, faire régner la violence et la peur, nous ne pouvons pas l’ignorer (aujourd’hui plus que jamais), elles ne peuvent rien cependant contre ce qui échappe à la dimension misérable de l’humanité, « mortelle, si mortelle » dit le poète : la capacité de créer, avec ses mains, son cœur, sa plume ou son pinceau, des œuvres sur lesquelles le temps n’a pas de prise. Même lorsque les hasards, les guerres, les incendies, s’acharnent il reste des traces ineffaçables. Pompéi renaît aujourd’hui de ses cendres, on lit toujours Homère, ou Shakespeare, même si leur visage, comme celui de Berret sur la plaque vandalisée, a disparu, le même vertige enchanteur nous prend à écouter les opéras de Mozart même si son corps fut, comme celui de Paul Berret, jeté à la fosse publique, on a pu brûler tous les livres qu’on voulait à Moscou, Berlin, Pékin, Bangkok, on ne cessera jamais de lire, fut-ce sur un Smartphone. Qu’on ait voulu souiller l’image de Paul Berret et que du coup on ait insulté ouvertement le lieu le plus sacré d’un paisible village ne changera rien, rien de rien, à cette évidence : les œuvres de Paul Berret, ses travaux les plus abstraits d’universitaire comme ses contes enchanteurs, survivront indéfiniment aux pauvres petites crapules qui sont venues, de nuit, dans le jardin des morts, cracher leur venin contre un mort.
Il viendra bien vite le temps où elles-mêmes, ces ombres furtives, seront allongées sous la pierre. Que restera-t-il d’elles ?
Anonymes elles furent une nuit de juillet 2020, anonymes elles resteront… quand l’âme de Paul Berret continuera d’accompagner dans leur chasse sauvage nos ancêtres, les brûleurs de loups.
Jacques Roux