A la maison du Barret, où pourtant les outils étaient peu nombreux, on trouvait deux modèles de serpes : l’une à double tranchant, l’autre à dos non tranchant. Personnellement, je n’ai utilisé que la serpe à double tranchant. Avec ses quarante-deux centimètres de longueur et son poids légèrement supérieur au kilo, cette serpe, signée « Valayer à Montélimar », était surdimensionnée lorsqu’adolescent je la maniais pour « faire les fagots pour les chèvres » ou pour « appointer les rames des petits pois ». Les fagots en question étaient fabriqués avec des branches feuillues, généralement de mûrier, de frêne, de peuplier, parfois de cerisier « boucha » (sauvage) ou de charmille, coupées à l’automne et séchées avant d’être, dans l’hiver, distribuées aux chèvres et aux lapins qui en raffolaient. Je me revois grimper le plus haut possible dans les peupliers du Barret et descendre progressivement en coupant les branches jusqu’à ne laisser que le tronc nu. On appelait cela « reblonder les peupliers ». Une fois les branches à terre, éparpillées en vrac autour de l’arbre, on les harponnait une à une avec le « bec » de la serpe et, la branche dans une main l’outil dans l’autre, on les coupait à la bonne longueur avec le tranchant concave. Au cours de cette opération, l’autre tranchant, celui du dos, m’a un jour, sans doute par pure jalousie, profondément entaillé la main gauche. Ce tranchant rectiligne avait toute son utilité lorsqu’il s’agissait « d’appointer les rames des petits pois » ou « les piquets de tomates » placés à la verticale ou légèrement inclinés sur un « grobon » (gros morceau de bois difficile à fendre) servant de support. Et puisque nous sommes dans les mots et expressions du pays, au Barret, la serpe c’était « l’agoué » ou « la gouya ». L’un des deux mots était-il spécifiquement réservé à l’un ou l’autre des deux modèles ? Il me semble que non mais je ne saurais l’affirmer. Aujourd’hui les termes «agoué » et « gouya » sont sortis du langage courant mais la serpe est toujours en usage.
Michel Jolland