Une Madone Sixtine à la sauce saint-vérannaise
Par Jacques Roux
Dans notre série sur les copies de tableaux de maîtres présents dans l’église de Saint-Vérand (38) nous avons relevé et interrogé quelques détails significatifs. Ainsi avons-nous observé (Variations 1) que le Christ de la copie de « La déposition » de da Volterra avait retrouvé des stigmates, que le petit Jésus de la copie de la « Sainte Famille » de Raphaël (Variations 2) avait voilé sa nudité, que des auréoles (Variations 3) apparaissaient ou disparaissaient dans ces deux copies, et enfin nous nous sommes attardés (Variations 4 et 5) sur le phénomène « d’irradiation lumineuse » dans la copie de « l’Adoration des bergers » de Mengs. Aujourd’hui nous allons nous focaliser sur le coup de force prodigieux du copiste de la célébrissime « Madone Sixtine » de Raphaël.
De nos jours, qui voient se conjuguer dans les consciences et dans les faits la contestation généralisée et le respect le plus intransigeant de certaines « valeurs », un chef d’œuvre de la peinture (la « Sixtine » en est un parmi les plus révérés), est réputé « intouchable ». Ne se hasardent à déformer des icônes de l’art que quelques trublions ou farceurs, tel Duchamp « s’amusant » avec la « Joconde ». Il n’est pas dit d’ailleurs que Duchamp en l’occurrence ait amusé grand monde : le caractère quasi sacré de la peinture de Léonard traverse toutes les couches de la société, des amateurs d’art à ceux qui n’y connaissent rien, mais… mais révèrent la Joconde.
Le copiste saint-vérannais de la « Madone Sixtine » de Raphaël est désormais identifié : il se nomme Zaleski. Peintre d’origine polonaise. Bien des questions se posent encore, ne serait-ce que sur les raisons qui justifient la présence d’une de ses réalisations à Saint-Vérand. Est-il venu en personne au village ? Son tableau a-t-il été vendu par un courtier ? Pour l’instant nous n’en savons rien, mais il a signé son œuvre et la signature est authentifiée. Et dire qu’il a « signé son œuvre » n’est pas un vain mot ! Car Zaleski, peintre polonais qui n’a pas jusqu’ici laissé dans l’histoire de l’art une trace aussi marquée que Raphaël, s’est tout de même permis de transformer radicalement le travail du Maître.
A Saint-Vérand, le pape peint par Raphaël, on voit dans son visage une ressemblance avec celui du pape Jules II, est devenu un évêque. A qui ressemble-t-il ? On ne saurait le dire ! Mais il s’agit bien d’un évêque : si le pape de Raphaël avait ôté humblement sa tiare devant la Madone et son enfant Jésus, l’évêque de Zaleski s’est fièrement calé la mitre sur le crane. Ce n’est pas à lui qu’on va enseigner les bonnes manières !
Pourquoi cet évêque ? Quelques uns – il faut lire à ce sujet l’essai de Michel Jolland dans « Les cinq Merveilles de l’église de Saint-Vérand » (Voir note) –ont voulu y voir la figuration de saint Véran, patron de la paroisse. Ce qui signifierait que le tableau aurait bien été peint pour elle ! On peut aussi penser qu’il représente n’importe quel évêque de n’importe quel évêché et qu’il pouvait ainsi constituer un argument de vente, à supposer que le démarchage des évêchés ait pu exister.
Peu importe : Saint-Vérand possède, et jusqu’à présent nous sommes en droit de penser qu’elle est la seule commune concernée, une version à la fois fidèle (pour le reste) et scandaleusement iconoclaste de la Madone Sixtine de Raphaël.
Il est une observation à faire : seules les « petites mains » s’intéressant au patrimoine de la commune de Saint-Vérand semblent avoir manifesté quelque curiosité pour cette œuvre. Aucune des prétendues sommités départementales et régionales qui se targuent d’être les spécialistes du patrimoine n’y ont prêté la moindre attention.
Faudrait-il supposer que ces sommités ne connaissent pas la célébrissime « Madone Sixtine » et confondent Raphaël avec le chanteur poète de « La caravane » ?
Note : « A la recherche d’une histoire perdue – Ce que disent les archives », Cahier de Saint-Vérand Hors-série n°11, Janvier 2020