Duilio et Dante Donzelli, deux artistes offerts par la guerre à Valence
Jacques Roux
(cliquer sur les images pour les agrandir)
Rédacteur associé sur les pages du Mas du Barret, j’ai le plaisir aussi de participer à la (bonne) tenue des pages Facebook intitulées Donzelli Duilio (https://www.facebook.com/donzelli.duilio/) et Donzelli Dante (https://www.facebook.com/donzelli.dante/?fref=ts). Deux artistes que les lecteurs du Mas du Barret connaissent puisque nous avons beaucoup parlé d’eux à propos de la sculpture visible à Saint-Vérand (38) : Notre-Dame des Champs. Sculpture d’abord supposée être l’œuvre de Dante puis attribuée en fin de compte, preuves à l’appui, à son père Duilio. Or, je viens de publier sur la page consacrée à Duilio un article qui ne sera pas sans intéresser nos lecteurs de la région valentinoise, à qui je conseille donc la visite, article que je voudrais compléter ici en abordant l’analyse sous un autre angle.
L’exode
Duilio Donzelli et son fils sont arrivés à Valence en juin 1940. Tous deux en provenance de Saint Mihiel dans la Meuse. Duilio est Italien. Il a demandé sa naturalisation française en 1939. A-t-elle été refusée ? S’est-elle perdue dans les méandres d’une administration perturbée par les « événements » ? Qu’importe, nous comprenons que demander à devenir Français cette année-là, c’était faire un choix courageux. L’Italien Duilio Donzelli ne se reconnaissait pas dans le fascisme de Mussolini. Dante et tous les autres enfants de Duilio ont obtenu plus tard la nationalité française, la « conduite héroïque » de sa fille Dora a même été « honorée par ses camarades de Résistance » à Lacroix dans la Meuse.
Cadeau
C’est donc la guerre qui a fait cadeau de Duilio et Dante Donzelli à la ville de Valence. Un cadeau qui n’est pas à négliger quand on voit l’œuvre considérable qu’ils ont laissée dans la région, rayonnant à partir de la Préfecture drômoise jusqu’aux confins du Vercors, en Ardèche et si l’on peut le répéter encore : en Isère, à Saint-Vérand. Duilio restera à Valence jusqu’à sa mort : il repose face à Crussol entouré de son épouse et d’une de ses filles Rosine. Dante est reparti à Saint Mihiel en 1956, mais il n’a cessé de revenir. Le « Grand Voyage » qu’il a réalisé pour Boucieu le Roi, sur les traces du Chemin de Croix du Bienheureux Pierre Vigne, a été gravé pour l’essentiel en 1966/1967, avec des ajouts dans les années 90. Etrange signe du destin d’ailleurs : ce « Grand Voyage », œuvre du fils, démarré l’année même de la mort du père, fait écho au « Grand Voyage » de Romans que Duilio, dès son arrivée dans la Drôme a entrepris de rénover, réalisant en moins de deux ans une série magnifique de panneaux que la presse de l’époque et jusqu’à sa mort n’a cessé de saluer. Ces deux « Grand Voyage » sont en quelque sorte la trace majeure laissée par ces deux créateurs dans le paysage qui abrita leur exil forcé.
Religieux
Nous renvoyons nos lecteurs à l’article de la page Facebook plus haut signalée (accessible directement par Internet, même si l’on n’a pas de compte) pour tous les détails biographiques : questions posées au sujet des dates de naissance par exemple, lieux d’habitation successifs… Nous voudrions seulement revenir sur tout un pan de leur travail que leur intense activité dans le champ religieux a occulté. De fait, nous l’avons plusieurs fois dit en public, ou écrit, les Donzelli ont la capacité de donner à voir des personnes, des situations, avec une telle intensité que l’on a la sensation, que l’on est persuadé… de les voir en l’instant près de nous. L’une des caractéristiques de Notre-Dame des Champs de Saint-Vérand, c’est son visage au sourire flottant, empreint d’une telle sereine tendresse, à la fois apaisé et extatique, qu’on est séduit, qu’on reste fasciné. Cette qualité, partagée par Duilio et Dante, est évidemment un atout quand on doit représenter Jésus, Marie ou Dieu le Père… Du coup, on comprend que les paroisses se les soient arrachés, on comprend qu’ils aient posé un peu partout, dans les champs, sur les collines, des Vierges plus belles et plus présentes que toutes celles d’alentour. On comprend qu’ils aient laissé leurs pinceaux s’exprimer dans les églises… Pour autant leur art ne se limite pas à cette dimension. Artistes « du religieux » ils l’ont été, merveilleusement. Artistes « religieux » ? Non.
Et laïcs
Nous ne dirons rien sur leurs convictions religieuses : nous les ignorons. Ils ne les évoquent jamais en tant que telles : toujours, dans les entretiens que nous avons lus, les questions de « foi », les œuvres, les principes, les dogmes ne sont abordés que sous l’angle du thème à traiter qui mérite le plus grand respect, et exige de se documenter au plus près. Artistes exigeants et sincères, s’ils traitent du supplice de la Croix ils s’imprègnent de ce qui lui donne sens : la souffrance d’un Dieu qui pour sauver l’homme de ses péchés se donne un corps d’homme et l’offre en sacrifice. Leur puissance d’évocation est telle que, quel que soit le style adopté, ils savent faire partager et cette idée de sacrifice et cette sensation de souffrance. Mais là ne s’arrête pas leur talent ! Là ne s’achève pas leur aptitude à montrer, à faire partager. L’un et l’autre ont, tout au long de leur existence, peint des paysages, des portraits, des nus. Voudrait-on l’oublier, on ne le pourrait. Où qu’on aille, sur leurs traces, on trouve des témoignages de cet art « laïc ».
Ainsi, à Valence, Duilio Donzelli s’est à deux reprises en 1940 et 1942, pour se faire connaître, livré à l’exercice délicat de « l’exposition ». Sur la page Facebook à son nom on voit ce qu’il a proposé au public… Rien qui soit « religieux ». Rien qui ne soit ce qu’un artiste peintre, par ailleurs sculpteur, cherche à montrer de son travail. Des portraits, des bustes, de jeune femme en particulier. Des paysages à foison.
Le cadeau que l’exode de juin 1940 a fait à Valence et sa région est donc celui de deux « artistes », deux artistes complets. Capables de manier le crayon, l’aquarelle, le pinceau, le ciseau de sculpteur. A leur actif on trouve des mosaïques, des « biscuits » ces bibelots en terre ou porcelaine cuite, qui côtoient des pierres taillées, des bois ouvragés. La plupart des œuvres petit format dont ils sont les auteurs circulent dans l’anonymat, sont chez des collectionneurs privés. Difficile donc de les recenser ; impossible d’établir un catalogue, ils ne tenaient pas eux-mêmes de registres. Cependant, et l’on doit considérer ces apparitions comme les « symptômes » d’un trésor sous-jacent, invisible mais réel, on voit surgir régulièrement sur les sites de ventes aux enchères des tableaux de l’un ou de l’autre. Tout récemment un très beau paysage « provençal » est apparu, que nous avons baptisé « Les lavandières » parce qu’on y voit deux lavandières dans un village. Il s’est vendu en moins de trois jours. Attribué par le vendeur à Dante, avant d’être restitué à Duilio.
Ces deux artistes n’ont jamais vraiment quitté la mémoire des lieux qu’ils ont occupés. Si l’on prépare dans la Meuse un ouvrage sur eux, qui s’intéressera surtout à la période précédant l’installation à Valence, dans la région valentinoise on travaille également sur leur parcours : publications d’articles, manifestations. On sait qu’à Saint-Vérand, Isère, on le sait parce que cela a été dit publiquement, on prévoit de fêter, simplement mais respectueusement, le cinquantième anniversaire du décès de Duilio Donzelli (1966/2016). Au Péage du Roussillon, à la Maison du Souvenir et des Artistes ce même souhait est à l’étude.
Nous ponctuerons ce bref article en évoquant cette « Maison ». En effet, s’il est malaisé de retrouver la trace des productions « non religieuses » des deux Donzelli, cette Maison apparaît comme une boite à trésor miraculeusement préservée des outrages du temps. Propriété de Raymond Saint-Prix, ancien pensionnaire de la Comédie Française, elle est devenue pour lui après son retour de la Capitale une sorte de Théâtre et de Musée personnels, ouverts aux comédiens qu’il avait connus, aux artistes qu’il aimait. On trouve donc, protégés, mis en valeur, de prodigieux témoignages de la vie artistique allant, en gros, de 1920 aux années 80 (Raymond Saint-Prix est mort en 1981). Or Raymond Saint-Prix a connu les Donzelli. Et chez lui ce qu’on voit d’eux, essentiellement, ce sont des portraits. Portraits de comédiens, portrait de monsieur Saint-Prix, portrait de sa mère. Quelques témoignages aussi, pris sur le vif ou reconstitués, de créations artistiques, théâtre ou opéra. Il y a bien, dans l’oratoire qu’on trouve dans le parc, du « religieux », mais tout le reste, et c’est considérable, pourrait donner à penser que Duilio et Dante Donzelli étaient des artistes mondains, spécialisés dans l’art du portrait (cf. pour les images les deux pages Facebook données en référence). Il suffit donc de déplacer légèrement l’angle d’observation pour s’apercevoir que l’on ne saurait réduire l’œuvre des Donzelli à une seule thématique. En ce sens, nous le disons en toute modestie puisque nous n’avons jusqu’à présent soulevé qu’un bout du voile : l’œuvre de Duilio et Dante Donzelli reste à découvrir.
Nous n’avons fait qu’entrouvrir la porte.
Illustrations :
1 La rêveuse. Pierre taillée. Duilio Donzelli Collection particulière
2 Tendresse Sculpture sur bois Dante Donzelli Collection particulière
3 Les lavandières Huile sur toile Duilio Donzelli Collection particulière
Clichés Jacques Roux
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