Par Michel Jolland
Trois itinéraires qui relient Montagne (Isère) à l’histoire internationale du XXe siècle
Acteur majeur du communisme international de l’entre-deux guerres, réfugié allemand à Paris en 1933, opposant de la première heure au nazisme, adversaire du stalinisme dès 1937-38, Willi Münzenberg est interné au camp de Chambaran en mai 1940. Le 20 juin, il fausse compagnie à ses gardiens. Quelques mois plus tard, on le retrouve mort à Montagne, près de Saint-Marcellin. Longtemps, Münzenberg sera oublié de l’Histoire. Pendant la guerre froide, et parce que la gauche pro-communiste était inféodée à l’URSS, la personnalité et l’action de Münzenberg sont pratiquement occultées. En France, il faudra attendre les années 1990 et en particulier le Colloque International d’Aix (1992) et une publication de la revue Communisme en 1994, pour que Münzenberg soit mis en lumière.
Depuis le début des années 2000, les recherches historiques sur le communisme, l’antifascisme et l’histoire des idées entre les deux guerres ont pris un nouvel essor, notamment grâce à l’ouverture des archives à l’Est. En 2015, le premier Congrès International Münzenberg s’est tenu à Berlin sur le thème : Espaces mondiaux de solidarité : Willi Münzenberg, Communisme international et solidarité transnationale au XXe siècle. Les communications visaient notamment àredonner à Münzenberg toute sa place dans le récit national allemand, et à démontrer son rôle dans la mise en place de mouvements de solidarité politique et d’organisations anticoloniales et anti-impérialistes transnationales et transculturelles dans les années 1920 et 1930. Plus récemment, deux des principaux co-organisateurs du Congrès de Berlin, Bernhard H. Bayerlein (Université de Bochum, Allemagne) et Kasper Braskèn (Université de Turkù, Finlande), ont engagé d’importants travaux sur le sujet. Le Professeur Bayerlein vient d’ailleurs de terminer un volumineux ouvrage sur le rôle du journal politique, pro-européen et multiculturel Die Zunkunft (« l’Avenir »), organe de l’Union franco-allemande publié à Paris d’octobre 1938 à mai 1940 par Münzenberg.
En Dauphiné, où les deux auteurs que nous venons de citer sont venus visiter les lieux où Münzenberg a passé ses dernières moments, la figure classique de « l’Allemand trouvé mort à Montagne » évolue. Un nouveau Münzenberg commence à se dessiner. Dès juin 1990, Martin Rott, journaliste allemand en reportage à Montagne, écrivait : « Je me tiens encore une fois avec le maire près de la tombe de Willi Münzenberg. Si l’on regarde au loin, par-dessus les tombes, on aperçoit la montagne ; « C’est le Vercors », me dit-il, « vous le connaissez bien ? » Oui, je sais que sur ce haut plateau des Préalpes ont péri 600 résistants en juillet 1944 dans un combat contre les troupes allemandes. Il est le symbole de la Résistance contre l’occupation allemande et les nazis. On peut se demander quelles différences et quels points communs il y a entre ce mort dans cette tombe, là, devant nous et tous ceux qui sont tombés au combat » (Frankfurter Allgemeine Magazin du 20 juin 1990).
Ce rapprochement entre les combats de Münzenberg et celui des Résistants se trouve légitimé par une note insérée à la page 117 d’un ouvrage de référence publié en 2005 : 1939-1945, L’Isère en Résistance, l’espace et l’histoire. La note est relativement brève mais sa présence dans un document dédié à la connaissance des personnes, des situations et des faits publiquement associés à la Résistance en Isère dans la période 1939-1945 est particulièrement signifiante. Pour prolonger et amplifier ce mouvement plusieurs pistes d’action restent d’actualité en dépit de retards dûs à la crise sanitaire. Parmi les projets figurent la rénovation de la tombe au cimetière de Montagne et la création d’une association européenne pour la mémoire de Münzenberg. Mais l’élément essentiel demeure la poursuite de la recherche historique avec, comme ligne directrice et fédératrice, les itinéraires de Münzenberg, de sa compagne Babette Gross de son secrétaire et ami Hans Schulz, trois itinéraires qui relient Montagne à l’histoire internationale du XXe siècle.
Notes
1. Photos
Müzenberg : collection de l’auteur. Montagne 2019 : photos de l’auteur.
2. Références
L’ouvrage de Bernhard H. Bayerlein s’intitule : Dissidenz als Triebfeder: Netzwerke für ein neues Europa gegen Hitler und Stalin! Die Pariser Wochenzeitung « Die Zukunft » (1938-1940). La version française est en cours de péparation. Titre provisoire : « La dissidence comme force motrice. Contre Hitler et Staline, construire des réseaux pour une nouvelle Europe. L’hebdomadaire parisien « Die Zukunft/L’avenir » (1938-1940) ».
Pingback: Willi Münzenberg 2 – Montagne : une tombe chargée d’histoire – Le mas du Barret