par Michel Jolland
Les archives de Montmajour, célèbre Abbaye bénédictine fondée en 948 près d’Arles (Bouches-du-Rhône), et les archives municipales de Saint-Vérand sont les deux principales sources potentiellement porteuses de renseignements sur l’emplacement supposé du bâtiment indistinctement nommé « chapelle », « église de Quincivet » ou encore « église paroissiale de Quincivet ». Dans les volumineux dossiers de Montmajour, Abbaye dont dépendait l’église de Quincivet, on trouve surtout des mémoires relatifs aux litiges concernant la collecte de la dîme et l’insuffisance de la portion congrüe servie au curé de la paroisse. Pour leur part, les archives de Saint-Vérand rapportent un contentieux survenu en 1790 entre le curé de Quincivet, connu pour avoir deux ans auparavant adressé au ministre Necker une lettre de doléances aux accents prérévolutionnaires, et la toute nouvelle municipalité au sujet d’une revendication ancestrale : la construction d’un presbytère à Quincivet. Notons au passage que, pour la plupart, ces documents sont partisans en ce sens qu’ils défendent les intérêts de l’une ou l’autre des parties en conflit. Néanmoins, en confrontant plusieurs d’entre eux, on peut affirmer avec certitude que l’église dont nous parlons se trouvait entre la Marguina et le château de Quincivet. La Marguina est un affluent de la Cumane qui prend sa source au lieu-dit « l’Argentaine » à Murinais et coule entre des collines boisées selon un axe orienté sud-est. A signaler que ce cours d’eau vient à nouveau de changer d’état-civil. Dans les documents du 17e siècle, on parle du « ruisseau de Chiavel fluant de l’Argentenas », vocable remplacé par « Marguina » sur le cadastre napoléonien (1830) et le cadastre moderne (2010) de Saint-Vérand. Depuis 2020 l’état des lieux effectué pour la « restauration écomorphologique de la Cumane et de ses affluents » a officialisé le nom « Quincivet », déjà présent sur le panneau de localisation à l’endroit où le tracé du ruisseau croise la route de Saint-Marcellin à Saint-Étienne-de-Saint-Geoirs.
Que l’emplacement de l’église se trouve entre le ruisseau et le château de Quincivet reste une indication bien vague. Hélas, les procès-verbaux rédigés dans le cadre du litige de 1790 entre le remuant curé Boissieux-Perrin et la municipalité ne disent rien de plus. Malgré tout, ils apportent des éléments qui, faute de mieux, permettent de poser quelques hypothèses relatives à l’orientation du bâtiment. On apprend ainsi que le curé a, contre l’avis de la municipalité, entrepris la construction d’un presbytère dont l’emprise au sol mesure 28 pieds (9, 10 m) à l’est, 8 seulement (2, 60 m) à l’ouest « car le choeur fait angle dans cette partie », 20 pieds (6, 50 m) au nord. Il est précisé que la construction en question empiète sur le cimetière et q’uelle est implantée de manière telle que, si elle se poursuit, les poutres du toit devront être placées soit dans le mur du chœur de l’église, soit dans le mur de la chapelle latérale, à laquelle la porte d’entrée de ladite construction sera « adossée ». Rien de précis n’est consigné sur l’état d’avancement des travaux. On ignore en particulier si les fondations ont été simplement « creusées » ou si elles sont déjà « coulées ». Seul détail : l’avancée du mur nord du chœur a été démolie et les pierres de tuf remployées pour bâtir un angle sur l’emplacement de la clôture du cimetière.
La prise en compte de l’ensemble de ces données débouche sur deux restitutions hypothétiques qui ne sont, ni l’une ni l’autre, pleinement satisfaisantes.
La première (Restitution 1) respecte strictement la longueur et l’orientation des murs, les indications sur l’implantation prévisible des poutres, le positionnement de la porte, la présence d’un angle du chœur côté ouest. Cela conduit à orienter l’église selon un axe sud-nord et à positionner la chapelle à l’est. Une telle représentation graphique est problématique car non conforme à l’orientation symbolique des églises : en principe, le chœur doit se trouver à l’est.
Dans la deuxième représentation graphique (Restitution 2), la chapelle est au nord et l’église est effectivement tournée vers l’est, mais ce au prix d’une réinterprétation des textes. Signalons à cet égard que le procès-verbal initial, daté du 13 octobre 1790, est d’une part explicitement issu du constat effectué sur le terrain à Quincivet et, d’autre part, reste la référence administrative constante en ce qui concerne les données relatives à la « construction » du presbytère. Il faut donc supposer que l’auteur dudit procès-verbal initial s’est tout simplement trompé : côté ouest de l’église, ce serait « la chapelle » et non « le chœur » qui « fait angle ».
Nous l’avons parfois signalé dans ces pages, localement l’énigme de la disparition de l’église de Quincivet n’émeut pas les foules. Fort heureusement, le Mas peut compter sur quelques passionnés fidèles. Parmi eux, Max Gagnor, féru de généalogie, de paléographie, d’histoire, participant de la première heure aux recherches sur Quincivet. C’est grâce à son approche éclairée que la restitution n°2, un temps écartée à cause de « l’angle du chœur » dont venons de parler, a été réhabilitée. Les faits corroboreront-ils cette hypothèse ? C’est auprès d’un autre fidèle de Quincivet, Lionel Darras, ingénieur CNRS en instrumentation géophysique (UMR51-Archéorient Lyon), qu’il convient maintenant de chercher des éléments de réponse. Dès que son agenda bien rempli le lui permettra, il se penchera sur la finalisation des prospections géomagnétiques qu’il a encadrées en janvier dernier. Il va de soi que Le Mas de Barret se fera un plaisir de lui ouvrir ses pages, peut-être sous la forme d’un entretien, pour faire le point sur ses recherches.
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