La mémoire locale, à Saint-Vérand, n’a retenu qu’une chose : Notre-Dame des Champs, c’est le curé Jasserand. Une sorte d’écho à la très célèbre formule de Gustave Flaubert : « Emma Bovary », c’est moi ». Cela ne suffit pas on s’en doute pour reconstituer l’événement, d’autant que le curé Jasserand n’a laissé aucun document administratif ou comptable. Quant à l’identité du sculpteur, personne ne semblait la connaître au moment où nous avons amorcé notre enquête. Tout au plus se souvenait-on qu’il était de Valence.
Michel Jolland est donc parti des seules traces écrites qu’il ait pu trouver : les numéros de l’Echo paroissial, organe de communication de la paroisse de Saint-Vérand. Par chance, la plupart des exemplaires de la période concernée ont pu être retrouvés. Les premières informations précises viennent de là ! Source fiable ? Il ne fait aucun doute que la plume qui se trouve derrière les articles importants, ceux touchant à Notre- Dame des Champs en font partie, est tenue par le curé Jasserand lui-même. Inutile d’attendre des constats objectifs et distanciés. Mais, ne serait-ce que par recoupements, il s’est avéré possible d’exploiter au mieux ce gisement de données.
Les témoins ? Des plus concernés, ils ont quasiment tous disparu : le temps a fait son œuvre. Notre-Dame des Champs a été inaugurée il y a plus de soixante ans. Michel Jolland a pu cependant, avant sa disparition, parler avec Noël Caillat, témoin exemplaire (on va y revenir) et l’abbé Martinais, tout jeune prêtre à ce moment-là, très proche de Joseph Jasserand. Et l’on a pu récupérer des témoignages certes fragmentaires mais dont la valeur est irremplaçable : les souvenirs adolescents d’Eliane Bachasson-Jullin et de Marie-France Caillat apparaissent comme des traits de lumière dans cette zone obscure.
Pour en revenir à Noël Caillat, tout Saint-Vérand connaissait son goût pour la photographie et le cinéma. Grâce au travail d’archiviste de Carmen Caillat-Cheradame, l’association Saint-Vérand Hier et Aujourd’hui a pu accéder à quelques clichés révélateurs. Quant à Raymond Inard, mémoire saint-vérannaise s’il en est, il avait précautionneusement mis à l’abri un mini film en 16 m/m, format prestigieux dans ces années-là pour le cinéma amateur, réalisé par Noël. Film qui, d’une part montrait la statue chez le sculpteur, avec le visage de celui-ci enfin visible, et la difficile montée vers leur lieu d’installation des blocs de pierre définitivement travaillés.
Voilà pour les sources (ressources) locales. Le reste, ce sont les outils d’aujourd’hui qui le fournirent. Les articles pêchés sur Internet par Jacques Roux, à partir du nom du sculpteur trouvé dans l’Echo paroissial, puis d’autres articles, en étoile, à partir du premier : chacun peu ou prou sait comment fonctionne ce qu’on nomme « la toile ». Nous connaissons aujourd’hui à peu près tout ce qu’on peut connaître du sculpteur qui façonna Notre-Dame des Champs et de sa façon de travailler. Internet par contre ne nous a rien appris sur les petits secrets du curé Jasserand et de son équipe. Il ne faut pas nécessairement s’en plaindre : l’inconnu et le mystère aident à façonner les légendes. Or, Notre-Dame des Champs et le curé qui la voulut constituent une part non négligeable de la légende de Saint-Vérand.