Issu d’une famille de gens de robe établie à Saint-Marcellin depuis le 18e siècle – juges, avocats, huissiers, avoués – Paul Berret naît le 12 avril 1861 à Paris où son père exerce la profession d’agent d’assurances. Marié deux fois et deux fois veuf, Paul Berret aura une fille, Suzanne. Vers la fin de sa vie, il épouse en troisièmes noces sa nièce Marie-Louise Bidal, assurant ainsi à celle qui l’accompagne dans ses vieux jours l’usufruit de la demeure que la famille Berret possède depuis plusieurs générations au hameau de Vernas, à Saint-Vérand. Tout au long de sa vie Paul Berret restera très attaché à cette demeure. Enfant, étudiant, puis professeur dans des villes lointaines, il viendra fidèlement y passer ses vacances avant d’en faire son domicile le moment de la retraite venu.
Très tôt, Paul Berret manifeste de belles dispositions pour les lettres. Reçu au baccalauréat à l’âge de16 ans, il effectue ensuite un brillant parcours universitaire en Sorbonne avant d’être nommé professeur de lettres dès l’âge de 20 ans. Doté d’une solide formation classique, très consciencieux, servi par une autorité et un ascendant naturels, il se révèle très vite excellent pédagogue. Paul Berret se fait bientôt connaître dans d’autres domaines que celui de l’enseignement des lettres. Alors qu’il fait ses toutes premières armes de professeur au collège de Melun, il n’hésite pas à se confronter, et avec grande réussite, à l’exercice délicat de la conférence publique. Il devient aussi un habitué des discours de distribution des prix. Ses qualités d’orateur – prestance, éloquence, tonalité de la voix, capacité à construire des exposés approfondis et captivants – vont désormais faire de lui un conférencier talentueux et recherché. Dans les années 1890-1900, Paul Berret ajoute d’autres cordes à son arc. Il s’initie à la photographie. Il publie dans des journaux locaux ou des revues littéraires. Il s’adonne à l’art théâtral. Il compose également de délicats poèmes aux accents hugoliens :
« Or, parfois, au déclin pâlissant de l’automne,
Un rayon resplendit, dont mon âme s’étonne :
Les volets sont poussés par des doigts tout tremblants
Et voici qu’est debout, très vieille, en cheveux blancs,
Une femme qui sur le seuil ouvre la porte…
C’est toi qui me souris, ô ma jeunesse morte ».
Jeunesse (novembre 1892)
En mars 1900, alors qu’il est professeur de rhétorique au lycée Faidherbe de Lille, Paul Berret donne dans cette cité une conférence remarquée sur le Dauphiné. Ce sera la première d’une longue série. Dans les années qui suivent, Paul Berret va, de ville en ville, parler de son cher Dauphiné avec un patriotisme gai qui n’exclut pas une ironie bon enfant. Le succès, jamais démenti, sera encore renforcé par la publication de plusieurs ouvrages dont le célèbre Au pays des brûleurs de loups, Légendes et contes du Dauphiné en 1906. Parallèlement au Dauphiné, Paul Berret connaît une autre passion : Victor Hugo. A l’issue d’une recherche méthodique et passionnée, il présente en 1910 et 1911 deux thèses de doctorat qui feront l’objet de publications retentissantes : La philosophie de Victor Hugo en 1854-1859 et deux mythes de la Légende des siècles et Le Moyen Age européen dans la Légende des Siècles et les sources de Victor Hugo.
Désormais Paul Berret, qui a obtenu la chaire de rhétorique au lycée Louis-le-Grand, fait partie du tout Paris universitaire et littéraire. Il s’affirme comme le grand spécialiste de Victor Hugo. En 1911, il reçoit une médaille d’honneur du prix de la critique littéraire pour ses travaux hugoliens. Il est sollicité de toutes parts pour parler du poète. Il collabore à diverses revues de renom : La revue de l’Histoire Littéraire, La revue des Deux Mondes, Le Mercure de France. Il publie une édition critique de la Légende des siècles en six volumes et une édition critique des Châtiments – toutes deux sous l’égide de l’Académie Française – ainsi qu’un Victor Hugo qui embrasse toute la vie et l’œuvre du grand poète.
Retraité en 1926, Paul Berret s’installe définitivement à Saint-Vérand où, loin de rester inactif, il poursuit ses travaux littéraires et ses recherches historiques. Il apporte sa collaboration à la presse régionale. Il milite en faveur de la restauration des portes du château de Beauvoir et il s’investit dans les fouilles du couvent des Minimes à Saint-Martin d’Hères. Souvent aussi on le voit à bicyclette sur la route de Saint-Marcellin où il aime à retrouver d’autres passionnés d’histoire locale tels que Jean Sorrel et le docteur Courtieu. En 1937-1938, il publie dans l’Echo Paroissial une série d’articles intitulée Essai sur les églises de Saint-Véran et Quincivet.
Brillant professeur dans de grands lycées, agrégé, docteur ès lettres, officier de l’Instruction Publique, chevalier du Mérite agricole, chevalier de la Légion d’Honneur, Paul Berret est pour tous, à Saint-Vérand, « Monsieur Berret ». Un monsieur qui s’exprime avec aisance et qui, prestige suprême, écrit des livres. Un monsieur dont on admire la prestance et l’aplomb naturel mais qui donne parfois l’impression d’être hautain. Un monsieur que l’on croise sur les chemins du village, le corps droit et le regard vif, avançant à la lenteur d’un sage, attentif à tout ce qui attire sa curiosité. Un monsieur dont on sent bien qu’il vit une autre vie que celle des gens du pays.
Et pourtant Paul Berret n’hésite pas à prendre sa part dans la vie locale.
Aux alentours de 1900, en pleine période de laïcisation des écoles, l’atmosphère s’alourdit au village. Le sous-préfet de Saint-Marcellin presse le maire de Saint-Vérand, M. Perriollat, d’ouvrir comme le veut la loi, une école publique de filles. Une partie de la population, farouchement attachée à l’école privée, résiste. Finalement, le 24 septembre 1905, on inaugure le bâtiment de la Mairie et des Ecoles publiques de Saint-Vérand. Paul Berret est chargé de l’allocution solennelle. Il lui donne un titre très explicite : « L’école publique et ses adversaires ». De sa voix nette et sonore, avec le charisme, l’érudition, la hauteur de vue et l’art de bien dire qui sont sa signature, Paul Berret subjugue l’auditoire. Sa parole, à la fois forte et sereine, n’est pas celle d’un partisan dogmatique, c’est celle d’une autorité morale, gardienne de l’intérêt supérieur du pays. Il délivre ce jour-là un discours d’une exceptionnelle portée. Le Mémorial de Saint-Marcellin ne s’y trompe pas. Son édition du 1er octobre 1905 est presque entièrement consacrée à l’inauguration et, fait remarquable, elle reproduit in extenso le texte de Paul Berret.
Le 7 août 1914, le conseil municipal de Saint-Vérand met en place une commission pour veiller à ce que les travaux des champs, complètement désorganisés par le départ des hommes, se poursuivent en dépit des circonstances difficiles. Paul Berret, simple citoyen, est le premier désigné pour, à lui seul, prendre en mains un bon quart des hameaux du village. On crée également une milice chargée d’assister le garde champêtre dans sa mission de maintien du bon ordre et de la tranquillité dans le village. Paul Berret portera le brassard numéro deux, le numéro un étant de droit réservé au garde champêtre.
Plus tard, on retrouve à nouveau Paul Berret aux côtés de l’école laïque. En février 1929 il est nommé délégué cantonal pour l’école de Saint-Vérand. A cette époque, le délégué cantonal représente le regard des familles et de la société sur l’école. C’est en général un homme d’influence, un sage que l’on consulte, une sorte de missionnaire laïque et républicain qui veille aux bonnes relations entre l’école et son environnement. Paul Berret multiplie les visites à l’école communale. Il n’hésite pas à prendre la parole pour célébrer les bienfaits de l’instruction républicaine ou pour inciter les élèves à l’effort et au respect de leurs maîtres. Il se montre attaché à la promotion des enfants issus des milieux modestes.
Paul Berret meurt le 4 septembre 1943 à l’âge de 82 ans dans sa maison de Vernas. Célébrées le 7 septembre 1943, ses obsèques sont bien modestes car l’époque impose des obstacles et des restrictions de tous ordres. Seuls quelques amis fidèles venus de Grenoble ou de Saint-Marcellin et quelques habitants de Saint-Vérand se joignent à la famille pour accompagner la dépouille mortelle de Paul Berret au cimetière du village, « ce village dauphinois qu’il aimait, face au panorama grandiose des montagnes du Vercors » dira un court article nécrologique dans le journal du lendemain.
Paul Berret laisse une œuvre vivante. Ses ouvrages sur Victor Hugo figurent toujours dans les bibliographies de référence et ses Contes et Légendes du Dauphiné ont été réédités en 2008. De l’homme lui-même subsistent quelques souvenirs qui peu à peu s’effacent. A Saint-Vérand, l’ombre vaguement redoutée de Monsieur Berret s’estompe progressivement pour laisser toute sa place à Paul Berret – Paul Berret, un écrivain au village.
Michel Jolland
Membre de l’Académie delphinale