Lorsqu’en 2012 Michel Jolland et Jacques Roux, travaillant alors tous deux pour le compte de l’association « Saint-Vérand Hier et Aujourd’hui » (Saint-Vérand Isère) décidèrent d’ouvrir un dossier sur Notre-Dame des Champs, sculpture régnant sur le haut du village depuis 1954, ils se trouvèrent face à une « tabula rasa ». La table rase, quand on veut inventer, créer, se livrer tout entier soi-même, c’est très bien, lorsqu’on souhaite apporter des informations précises et documentées sur un objet méconnu, c’est plus délicat ! Le constat était simple : il y avait au sommet du coteau qui domine le village (le Châtelard) une statue de belle dimension, pas inintéressante sur le plan esthétique, qui s’était longtemps trouvée au cœur de manifestations religieuses (processions, prières) avant que l’oubli ne s’installe. Dans le village on savait seulement que le curé Jasserand (curé de 1937 à 1978, dernier curé titulaire) était l’initiateur du projet, qu’il l’avait porté et mené à bien. D’ailleurs, pour beaucoup, Notre-Dame des Champs c’était « Joseph Jasserand », point. Sur la sculpture, sur le socle, aucune indication pouvant révéler le nom du sculpteur. Quelques personnes mieux informées se souvenaient d’un « gars de Valence (Drôme) ». Méticuleux comme toujours, Michel Jolland se plongea dans les numéros de l’Echo paroissial de ces années-là (1953, 1954) et put assez vite isoler le nom cherché : « Donzelli ». Confirmation, il était bien valentinois. Mais plus trace d’aucun Donzelli dans le Valence d’aujourd’hui. La seule occurrence publique, via la presse et Internet, du nom « Donzelli », c’était « Valérie » ! Valérie Donzelli, actrice et metteur en scène. Petite lueur : dans un entretien avec le journal Le Figaro, publié le 26 avril 2010 elle évoquait son grand-père « le peintre et sculpteur Dante Donzelli ». « Émigré italien, il s’est installé dans l’est de la France et a effectué beaucoup de restaurations d’églises. Il a énormément compté pour moi. Pendant mes vacances d’été, je dessinais, je créais à ses côtés ».
Y avait-il un lien ? Oui. Heureux hasard, l’été précédant les Journées du patrimoine au cours desquelles le dossier « Notre-Dame des Champs » serait ouvert sur la place publique, un article était publié par Laurent Jacquot dans l’Impartial de Romans le 19 juillet 2012. On y parlait nommément de Dante Donzelli, venu de l’Est de la France, réfugié à Valence en 1940 et auteur de nombreuses œuvres sculptées – entre autres. Il était fait allusion à son père, Duilio, lui aussi réfugié à Valence mais décédé « après la guerre ». Un autre article, publié par Jean-Noël Couriol dans la « Revue drômoise » en mars 2011 (page 83), apportait une précision un rien perturbante. Consacré aux « Vierges du Vœu » érigées après guerre en de nombreuses communes protégées des grands désastres de la guerre il parlait, certes, plus de religion que de sculpture, mais évoquait « les frères Donzelli » comme possibles auteurs d’au moins « quatre Vierges du Vœu ».
Nous ne développerons pas plus avant la longue quête des deux Maigret de campagne que furent Michel Jolland et Jacques Roux entre 2012 et 2015 : ils s’expliquent eux-mêmes très bien dans le Cahier qu’ils publient à l’occasion des Journées du Patrimoine 2015. Nous pouvons cependant indiquer qu’il leur fallut détricoter patiemment un écheveau d’informations erronées, contradictoires, et s’efforcer non moins patiemment d’analyser avec rigueur toutes les pistes trouvées dans la presse et surtout Internet, étudier dans le détail toutes les œuvres peu à peu apparues, afin de vérifier les dates, les signatures, les styles… Leur chance fut d’avoir à leur disposition cet outil dont on sait qu’il peut charrier toute la méchanceté du monde et toutes ses contre-vérités, mais aussi les plus lumineuses des informations, les discours les plus honnêtes et les plus désintéressés. On signalera surtout que deux pages Facebook, animées par un Valentinois qui fut voisin de Duilio Donzelli, M. Serge Ceyte, leur permirent de résoudre toutes les énigmes qui se posaient à eux. Sur ces pages (accessibles directement à partir d’un quelconque moteur de recherche) : « Donzelli Duilio » et « Donzelli Dante » ils purent échanger des renseignements, collaborer en apportant leurs propres trouvailles, entrer en contact avec la famille de Duilio Donzelli, bref… donner enfin, avec certitude, le nom du sculpteur de Notre-Dame des Champs : Duilio Donzelli.
Les premières données disponibles incitaient à penser à Dante, mais c’était son père ! Duilio !
Un solide septuagénaire qui donna ainsi à Saint-Vérand la plus digne et la plus belle des Madones qu’on puisse trouver dans la région !
Pas de « frères Donzelli » sculpteurs à Valence mais un père et un fils, tous deux faisant preuve du plus grand des talents. Sur Dante, il y aurait beaucoup à dire, mais ici nous visons « Notre-Dame des Champs » de Saint-Vérand et cette Dame-là c’est à Duilio qu’on la doit. Qu’hommage lui soit donc enfin rendu !
Il reste à espérer qu’à Saint-Vérand on lui réattribue officiellement son œuvre et que son visage vienne enfin intégrer le Panthéon de la mémoire locale. Il le mérite. Il est et restera un des grands noms de ce petit village qui n’en a pas nécessairement beaucoup à se mettre sous la dent !