Indiscutablement Notre-Dame des Champs fait partie du paysage saint-vérannais. Mieux : elle lui donne un cachet particulier. La vision de ce monument, rendu minuscule par la distance mais qu’on perçoit tout d’élégance et de simplicité traçant une ligne blanche incurvée dans le ciel, ajoute au village, qu’on découvre ensuite, un cachet particulier. Comme s’il avait hérité d’elle une certaine distinction, comme si elle l’arrachait au sort commun de toutes ces agglomérations rurales qu’on traverse sans y prendre garde.
Elle participe également de l’histoire de la commune. Comme témoin d’une époque où la foi chrétienne était encore vivace dans le monde rural et s’attachait à des symboles visibles dont les traces peu à peu s’effacent, comme ces crucifix ou ces oratoires qui bordaient les chemins, offrant à qui le souhaitait l’occasion d’une prière ou, pour le moins, d’un signe de croix. Comme souvenir aussi d’une personnalité hors du commun, à laquelle nous avons consacré un chapitre, le curé Jasserand, grand animateur de la paroisse, qui voulut et mena à bien le projet de cette Madone érigée au dessus des champs.
Aujourd’hui, s’il n’est pas possible sans s’appuyer sur une enquête sérieuse de mesurer la part de la population qui se revendique de la foi chrétienne (on ne saurait considérer comme des symptômes significatifs les réactions à des décisions politiques qui bouleversent moins l’esprit religieux que le conservatisme des mœurs), force est de constater que la paroisse n’a plus de curé à demeure. L’église est close, sauf pour les occasions obligées (mariages, obsèques…), et pour le sujet qui nous occupe, Notre-Dame des Champs, l’époque est révolue des pèlerinages, processions dont elle était le point d’orgue. Ce n’est pas sans incidence sur le monument lui-même, et son cadre.
Lorsqu’on l’observe de près, on voit que la pierre commence à s’abîmer. Apparaissent des moisissures. Le cadre métallique, censé supporter l’éclairage dont on avait doté ce beau symbole pour qu’il soit visible de nuit comme de jour,
a copieusement rouillé. Il est d’une laideur absolue. Quiconque s’est décidé à photographier la sculpture sait bien quel parasite visuel cette armature est devenue. Tout alentour la végétation a repris ses droits et le beau point de vue qu’on avait autrefois n’est plus qu’un souvenir. Nous ne dirons pas que tous ces défauts sont sans charme : il y a là comme un parfum nostalgique, une sorte de rappel ému d’un temps à jamais disparu. Un décor pour Lamartine en quelque sorte !
Ce n’est sans doute pas ce dont a besoin un village comme Saint-Vérand qui a su montrer ces dernières décennies qu’il savait aller de l’avant, qu’il était à même de prendre des décisions fortes, quitte à bousculer les sensibilités (par exemple l’éradication de l’ancien Monument aux Morts), afin de préserver le dynamisme du village, faciliter les activités rendues nécessaires par la vie d’aujourd’hui. Notre-Dame des Champs est un élément fort et significatif du patrimoine saint-vérannais. Désormais reconnue comme l’œuvre d’un artiste dont la renommée, ignorée ici, va aller grandissant, cette belle statue peut désormais être revendiquée à la fois comme un héritage religieux, et c’est alors à la communauté catholique de se mobiliser, et comme une pièce artistique d’une rare valeur. C’est à la Commune et aussi, il faudra les solliciter, aux instances départementales et régionales, de s’en préoccuper et d’en tirer profit. Parce qu’il y a profit, toujours, ne serait-ce que pour l’habitant, à côtoyer une œuvre d’art venue du passé et qu’on sait accompagner à travers l’histoire.On a ri de Louis II de Bavière lorsqu’il construisit son château de Neuschwanstein, c’est aujourd’hui un atout touristique majeur, et la fierté de la région. On a ri de Ferdinand Cheval lorsqu’il entassait ses cailloux pour en faire un palais : allons demander aux habitants d’Hauterives s’ils rient toujours ! S’occuper de Notre-Dame des Champs aujourd’hui c’est s’ouvrir une porte sur le futur. Il faut réhabiliter la pierre, modifier radicalement le système d’éclairage, rendre le chemin d’accès plus accessible, le site plus agréable, avec des graviers par exemple, installer des bancs, bref : il y a beaucoup à faire ! Mais de quoi un Saint-Vérannais sera-t-il le plus fier ? D’avoir laissé pourrir le chef d’œuvre de Duilio Donzelli et du curé Jasserand, ou d’avoir voulu en faire un maître atout dans son jeu ?
Rendez-vous pour en parler le samedi 19 septembre à 16 heures à la Salle des Fêtes de Saint-Vérand (Isère), à trois kilomètres au nord de Saint-Marcellin, direction Varacieux – Saint-Etienne de Saint-Geoirs. Il y aura eu au préalable une causerie sur la noyeraie saint-vérannaise, autre fleuron de cette jolie commune et, si le temps le permet, tous les courageux feront la promenade pour voir d’un peu plus près ce que nous avons mis en mots ces dernières semaines.
Notre-Dame des Champs, sculpture de Duilio Donzelli, projet du Curé Jasserand, Saint-Vérand (Isère, Rhône-Alpes)