Le mas du Barret

Une histoire de chasse à Auzet

par Louisette Isoard

Nous avons déjà dans ces pages parlé d’Auzet, village montagnard haut-provençal du canton de Seyne-les Alpes. Louisette Isoard, qui est née et a passé son enfance dans ce lieu, s’est, de 2005 à 2015, attachée à recueillir quelques éléments de la mémoire locale.

A Auzet, vers le milieu du siècle dernier la chasse était une activité courante chez les hommes, jeunes ou moins jeunes. Chaque chasseur avait son chien auquel il était particulièrement attaché. Marcel qui a longtemps vécu et pratiqué la chasse à Auzet raconte avec émotion la mort de sa chienne Rita.

« Une fois, je me rappelle, je chassais le lièvre à Lauzerol (toponyme qui recouvre quelques bâtiments autrefois à usage agricole, aujourd’hui renovés, et un vaste espace d’alpage) avec deux voisins, l’Armand et le Mé. A cette époque j’avais ma chienne Rita ». « Une bonne chienne » ajoute Marcel comme pour donner son juste poids à l’histoire. Dans la bouche d’un chasseur habile, expérimenté et passionné comme Marcel, « une bonne chienne » est une chienne efficace, prompte à flairer et à dénicher le gibier et à le poursuivre jusqu’au coup de fusil décisif. Les chasseurs savent que l’herbe du matin, encore recouverte de perles de rosée, exalte les sens et exaspère les narines du chien qui, lorsqu’il est « bon », repère rapidement au flair les traces nocturnes laissées par le gibier et les suit avec une grande motivation, une vraie passion, sans arrêter de japper avec ardeur, et ce jusqu’à ce qu’il lève le gibier et le poursuive de ses ardeurs bruyantes.

Marcel au retour d’une partie de chasse fructueuse (Lauzerol, années 1960)

Avec son langage imagé, rehaussé par une gestuelle particulièrement expressive, Marcel poursuit : « Tout à coup, il part un renard. Tous les chiens après. Rita la première. Je vois passer le renard. J’étais dans un bas-fond et il était sur le coulet (hauteur entre deux vallées, contrefort d’un relief plus important) ». Marcel qui, en plus d’être bon chasseur, connaît chaque pierre, chaque motte de terre, chaque arbre de son territoire, a instantanément compris où se dirigeait le renard : « Je savais où était le terrier. Je coupe court et j’arrive en même temps que le renard. Je tire, une seule cartouche. Pan ! Je le tue net. Et là, Rita tombe, morte. Personne n’y comprenait rien. On a cherché un brave moment avant de voir qu’elle avait pris un plomb perdu pile dans le trou de l’oreille. Rita ne faisait jamais le renard mais ce jour-là elle était en première ligne. Elle était la plus forte. Eh bien, ça lui a coûté la vie. Ce que c’est que le destin quand même ! » conclut tristement Marcel.

Cette douloureuse scène fait partie des souvenirs qu’un chasseur n’oublie pas.