Le mas du Barret

La vie d’artiste (1)

René Mirabel : Un flux ininterrompu

Par Jacques Roux

René Mirabel est ardéchois. Connu surtout comme artiste peintre, il est aussi l’auteur d’Installations qui marquent encore la mémoire de ceux qui ont eu le privilège de les contempler dans les années 80 au moment de leur création. Par « Installations », il faut entendre chez lui l’assemblage de cages, fabriquées par ses soins (dans sa famille on travaillait le bois et ses origines paysannes lui ont laissé le goût d’un bricolage non de fortune mais de nécessité : on ne joue pas, il ne s’agit pas de loisir, on aménage, on préserve, on sauve. A la limite, on invente). Dans ces cages, parfois extrêmement volumineuses, il disposait des objets issus de son passé, personnel ou, plus souvent, familial. Un réveil à ressort du grand-père, la pipe du père, le dernier pot de la confiture confectionnée par la grand-mère. Réunies par des chaînes, ces cages, que j’ai vues personnellement dans le jardin de René Mirabel, mais aussi, certaines, à Banne lors d’une exposition collective, reçoivent de leur auteur des noms qui en donnent la pleine signification : « Exode »  ou « L’arche de Noé » par exemple. Dans ces cages en effet se donne à voir tout ce qu’on abandonne chaque jour sur le bord de la route, ou qu’on essaie d’emporter avec soi quand le danger menace, des petits riens sans lesquels nous pensons ne pouvoir vivre, des bribes d’existence infimes et dérisoires… Nous savons bien qu’ils sont, ces objets sans nom ni âge, insignifiants pour tout autre que nous, destinés à devenir si, comme les fragiles et dansants papillons on les cloue sur la plaque, les vestiges d’un temps perdu, les pauvres et tristes traces de nos vies en allées. Parce que la même chaîne les lie entre eux et les rattache à nous. Les Installations de Mirabel sont de vertigineuses et douloureuses plongées dans l’abîme : nous ne sommes que du passé tenu en laisse.

Pour autant ces Installations ne sauraient résumer l’itinéraire artistique de René Mirabel, elles n’en sont qu’une des facettes, la moins attendue et sans doute la plus menacée parce que le public et les institutions susceptibles de les protéger sont moins attentifs à leur fragilité, moins conscients aussi, sans doute, de leur importance. La commune de Largentière, sous-préfecture de l’Ardèche, conserve ainsi depuis des années dans une cave l’Installation « Exode », pur joyau, empruntée pour un projet de musée jamais abouti, et que par incurie et indifférence elle ne s’est pas décidée à rendre à son auteur. Ainsi parfois, et parfois trop tard, retrouve-t-on, dégradées, des toiles de maîtres, ou des sculptures. A l’image de la Vierge des Champs saint-vérannaise dont la pierre est rongée par les intempéries et les parasites. L’Exode de René Mirabel pourrit dans une cave, elle c’est face au soleil, mais à leur entour : le vide !

Fin 2019 un ouvrage est paru, ouvrage collector, trop vite épuisé (il est semble-t-il encore possible d’en obtenir un exemplaire en s’adressant directement à l’artiste, voir en fin d’article) retraçant la carrière de René Mirabel. « Ce livre, a-t-il écrit, remplace la rétrospective que je n’ai pas pu réaliser ». Un ouvrage qui se présente avec intelligence comme une lecture à rebours de ladite carrière : plutôt que suivre la chronologie classique, allant des débuts à la fin, il part de l’époque actuelle, des œuvres en cours pour s’achever avec les premiers travaux.  Le grand intérêt de cette méthode est de rendre justice à ces travaux initiaux. Nous avons tous au Lycée découvert les grands écrivains à travers leur biographie ; il en ressort toujours la même idée : que les œuvres du début ne sont là que pour préparer ce qu’on nomme les « chefs d’œuvre » (qui ne le sont que pour notre époque !!!! Que restera-t-il de ces jugements dans cinq siècles ?). Avec même parfois cette touche désolante : que la fin est un naufrage (on se souvient de « Après l’Agélisas, hélas » de Boileau à propos de Corneille). Comme si les travaux du grand âge étaient marqués du sceau de la décrépitude du corps ! La tradition prête à un peintre chinois cet aphorisme : « Combien de temps m’a-t-il fallu pour dessiner cette aile d’oiseau que vous admirez ? Quelques secondes ! Et toute ma vie. » Vraie ou inventée cette anecdote dit juste, et les dernières toiles rageuses, ludiques, obscènes et naïves de Picasso en ont apporté la preuve magistrale lorsque Beaubourg s’est risqué à les exposer. René Mirabel s’inscrit dans cette lignée, lumineuse : vieillir ouvre toutes les portes.

Les deuils, la maladie, les opérations, la chimiothérapie, rien ne saurait briser l’élan créatif de René Mirabel. Ce flux ininterrompu (le titre du livre qui est consacré à ses années de création est explicite  « 60 années, 60 jours » : il faut désormais ajouter une année et deux fois plus de jours !) délivre régulièrement des toiles fascinantes explorant toutes les variations possibles de toutes les couleurs, associées, confrontées, fondues. La série en cours se nomme « Vibrations » et c’est bien de cela qu’il s’agit : des vibrations qui animent la lumière, qui animent les rouges, et les bleus, et les blancs, les noirs…

Ces mêmes vibrations qui traversent nos corps et témoignent chaque fois, et encore et encore, que nous vivons !

Mais puisque nous avons chanté les louanges d’une démarche qui savait ne pas mettre le passé sous le boisseau du présent, achevons ce bref hommage par la reproduction d’une des toutes premières peintures de René Mirabel. Les paysages ruraux qui ont entouré son enfance étaient ceux d’une Ardèche qui, peu à peu, disparaît : des collines bardées de murets protégeant des « faysses », replats destinés à exploiter cultures ou vignes. Ce dessin-là, façonné par des siècles de paysannerie obstinée, le peintre Mirabel s’en était nourri, et inspiré. Aussi étrangère à sa peinture actuelle puisse-t-elle paraître cette toile n’en est pas moins issue du même homme, du même imaginaire, de la même sensibilité. Le même homme mais, comme le « Je » de Rimbaud, un « Autre ». Pour être datée de la fin des années 1950, elle n’en est pas moins comme les toiles de l’année 2021, une œuvre à part entière. Unique et définitive.

Références :

Il existe un site Internet : www.renemirabel.com

L’ouvrage dont il est question dans l’article s’intitule : René Mirabel Soixante années et soixante jours

N°ISBN 979-10-699-3497-9

Prix : 70 euros

Adresse

M. René Mirabel La Croix de Coulens 07110 Chassiers