La Jeanne d’Arc de Saint-Véran reprend son envol
Par Michel Jolland
Il y a cent ans, le dimanche 8 mai 1921, la société de gymnastique dite « Jeanne d’Arc de Saint-Véran » faisait sa première sortie officielle. Le jour était particulièrement bien choisi puisque la toute récente loi du 10 juillet 1920 venait d’instituer, le deuxième dimanche du mois de mai, une « Fête nationale de Jeanne d’Arc et du patriotisme ». Une célébration qui, au passage, fera très rapidement l’objet de surenchères politiques et qui, aujourd’hui encore, reste un sujet sensible et parfois polémique. Mais restons à Saint-Vérand en cette belle journée du 8 mai 1921. L’Écho paroissial de Saint-Véran qui tout comme la Jeanne d’Arc donne au nom de lieu qu’il affiche une forme orthographique distincte de celle utilisée par la commune, nous apprend que la société à l’honneur ce jour-là vient en réalité d’être « enfin reconstituée grâce à des concours empressés et à de sérieux dévouements ». On peut donc, si l’on accorde crédit à cette publication, en déduire que la Jeanne d’Arc de Saint-Véran existait avant la guerre 1914-18, à l’image de celle de Saint-Marcellin créée en septembre 1909. Il faut espérer que la découverte de nouveaux documents ou d’autres numéros de l’Écho – vingt-six seulement ont été retrouvés pour la période 1902-1920 – permettra un jour d’en savoir plus sur ce point.
Le dimanche 7 mai 1922 on inaugure le Monument aux Morts de Saint-Vérand. La Jeanne d’Arc est présente tout au long de la journée. A 9 heures, elle participe à la messe solennelle d’hommage. Vers midi, elle accueille en fanfare M. le Sous-Préfet venu, à l’invitation de M. Dye, maire, participer au banquet qui réunit les notabilités et les élus du canton de Saint-Marcellin. A 15 heures, c’est la grande cérémonie d’inauguration ponctuée par d’émouvants discours et des moments de recueillement. Dans une foule nombreuse uniformément vêtue de noir, la Jeanne d’Arc, facilement reconnaissable à sa tenue blanche, est au tout premier rang. Alors que l’anticléricalisme du début du XXe siècle avait, on s’en souvient, conduit à la loi de 1905 portant séparation des Églises et de l’État, le catholicisme français retrouve en cette période d’après-guerre son rôle d’autorité morale et sa place dans les cérémonies officielles. En cette mémorable journée du 7 mai 1922, la Jeanne d’Arc de Saint-Véran, placée sous l’égide de la paroisse, symbolise à sa manière la convergence entre l’élan religieux et l’élan patriotique.
Très peu de temps après, les 8 et 9 juillet 1922, un grand « Concours Interrégional de Gymnastique, Fanfares et Batteries » réunit à Grenoble 117 Sociétés et quelque 6000 participants. La toute jeune Jeanne d’Arc de Saint-Véran se retrouve en compétition avec de prestigieuses concurrentes, bien plus aguerries et mieux entraînées. Qu’à cela ne tienne : elle rentre au village avec « un premier prix de batteries et un troisième prix pour exercices à la barre fixe et aux parallèles », comme l’indique fièrement l’Écho du mois d’octobre 1922, en s’excusant d’avoir retenu si longtemps l’information en raison de vacances inhabituellement prolongées.
Les héros du jour posent sur la photographie placée en tête du présent article. A vrai dire, il existe à Saint-Vérand un débat sur la date de cette photographie – 1922 ou après 1930 ? – et le lieu où elle a été prise : Saint-Vérand où ailleurs ? Nous nous rangeons ici à l’avis de Jacques Roux, un Saint-Vérannais bien connu des lecteurs du Mas du Barret qui apprécient unanimement sa plume. Son oncle Henri Caillat, baudrier avec porte-baguettes en bandoulière et tambour aux pieds, figure tout à droite lorsque l’on tient le cliché face à soi. Chez Jacques Roux, comme dans bien d’autres maisons du village, la photographie de la Jeanne d’Arc était soigneusement conservée et souvent commentée : « Tu vois là, c’est le Tonton Henri. Il était grand et costaud pour son âge. Et surtout il se débrouillait très bien en gymnastique, il était très fort au tambour et il jouait aussi du clairon ! ». Aucun doute possible sur la personne d’Henri Caillat et c’est, nous allons le voir, un indice précieux pour dater la scène. Tout indique en effet que le cliché a été pris le jour du Concours Interrégional, probablement à Grenoble. Il a le caractère solennel de l’événement qu’il immortalise. L’air sérieux et l’habit impeccable, les gymnastes entourent l’abbé Marc, curé de Saint-Vérand et responsable de la Jeanne d’Arc. Sur la pancarte, les indications correspondent aux identifiants attribués à la Société lors de son enregistrement officiel pour les épreuves. En 1922, Henri Caillat a 14 ans. Pour autant que l’on puisse en juger, la photographie semble en accord avec cette donnée.
Au-delà de celles que nous venons de rappeler, les traces de la Jeanne d’Arc de Saint-Véran n’abondent pas, ni dans les documents, ni dans les mémoires. Cependant, au début des années 1960, l’un de ses tambours reviendra battre la campagne pour « chanter le mai ». Mais c’est là une autre histoire…
Note :
La photo du 7 mai 1922 m’a été remise au début des années 1970 par mademoiselle Marie Brossat (1880 – 1981) avec cette émouvante précision : « J’étais présente à l’inauguration de la mairie et des écoles en 1905 et j’ai assisté à celle du Monument aux Morts en 1922 ».