Le pays des chimères de Claude Ribot
par Jacques Roux
Il est difficile d’évoquer une personne que l’on n’a côtoyée que furtivement sans pouvoir s’attarder à lui poser les questions nécessaires, sur l’art, sur la vie, sur sa vie : je ne chercherai donc pas à le faire. Je me suffirai d’esquisser, dans ces quelques lignes, le dessin d’un artiste nommé Claude Ribot, avec qui j’ai eu le privilège de visiter la toute dernière exposition rétrospective qu’il ait pu réaliser, à quelques mois de sa brutale disparition, dans une belle salle de la mairie du Mans. Surtout connu comme sculpteur il est aussi l’auteur de dessins élégants, insolites et insolents, d’une dérision drolatique et rêveuse, de gravures, de bas-reliefs, de porcelaines. Il manque sur lui un ouvrage de référence qui explore jusque dans ses plus infimes recoins une œuvre aux accents indéfinissables parce que renvoyant aux arrière-plans de notre conscience et de notre imaginaire ; il manque surtout une vraie réflexion sur ce grand voyageur des au-delà de l’humain, qui naquit et mourut au pied de sa ville du Mans, admirant jusqu’à ses derniers souffles la superbe cathédrale qui la surplombe. La Cathédrale du Mans, comme celle qui couronne Paris n’est pas seulement le lieu d’un culte réservé à quelques-uns, elle est une sorte de rêve de pierre planté dans le sol pour que l’esprit humain cherche à s’élever. Et comme celle de Paris, elle abrite dans ses ventres obscurs de multiples richesses dont les trésors de sculpture du pays manceau qui firent rêver le jeune Claude Ribot.
Dans le monde selon Ribot les femmes crachent de l’eau et des poissons, elles ont les bras collés au visage et elles regardent l’éternité en face.
Comme la Léda du mythe elles se sont offertes au Cygne, mais un Cygne à trois têtes, et ce sont elles qui le chevauchent : ici les dieux ne font pas la loi, ni les mâles.
Il n’y a pas de loi d’ailleurs : ni haut ni bas, ni pesanteur, ni jour ni nuit, les vies qui s’agitent autour de nous ne sont que cela : de la vie. Elles apparaissent et disparaissent au gré d’une fantaisie qui dépasse l’entendement humain. Dans le cerveau de Claude Ribot tout se passe comme dans un morceau de free jazz : tout se tient mais sans qu’on sache par quel bout l’attraper.
Claude Ribot aimait le jazz, la chanson populaire, le cinéma (il a collaboré à Positif, revue cultissime pour bien des amateurs de cinéma, au temps de Robert Benayoun, Gilles Ciment, Bertrand Tavernier…), il s’est nourri des mythologies les plus proches et les plus lointaines et il n’hésitait jamais à commenter, lorsqu’on l’interrogeait, ses sources d’inspiration les plus savantes et les flashs qui l’assaillaient dans les moments les plus familiers, contemplant ses chattes par exemple, ou regardant la télévision, soudain illuminé : le réel transpercé par l’éclair de l’inattendu, le banal transcendé, déformé, déplacé… Pour se donner une chance d’approcher la diversité de ses créations, je ne saurais mieux conseiller à nos lecteurs internautes de visionner le Site que lui consacre sa fille Hélène Ribot, inlassable défendeur de son travail : https://www.clauderibot.fr/
Il ne s’agit que d’une approche, nécessairement fragmentaire, elle permet cependant de comprendre que tout ce qui sortait des mains de Claude Ribot était nourri d’une culture aux fruits savoureux, piochés aux quatre coins du monde, et de sa capacité, sans cesse réactivée, à voir sous le ciel infini se démonter les certitudes les plus établies, les formes que l’histoire et la convention pensaient figées, à coiffer d’un soleil rieur le visage de la voisine, à tordre la funambule autour d’un fil absent, à planquer un couteau dans un ventre innocent, à doter la plus prévisible des banalités d’une magie souriante et jouisseuse. Les chimères qui peuplent le pays de Claude Ribot ont le corps chevillé à l’âme : les contempler c’est ouvrir une porte sur l’inaccessible.