Par Jacques Roux
Paul Sireau a débuté – publiquement – sous la couverture de la communauté Minecraft ; il y était connu sous le pseudo de _killerack_. Etape pour lui déjà bien lointaine mais qui contribua à façonner son image : rigueur et précision, inventivité et une maîtrise technique hors pair. Il avait, dans ce contexte, une particularité, non négligeable : il était français (il l’est toujours !). Or dans la jungle des petits génies qui, rivés à leur clavier et leur écran, fabriquaient alors de drôles d’images sans équivalents dans l’univers qui, jusqu’ici, donnait à celles-ci leur statut de représentations réalistes ou imaginaires, les Français étaient plutôt rares. Et, par-dessus le marché, pas toujours fréquentables. Dans un entretien auquel nous renvoyons nos lecteurs, d’autant qu’ils y trouveront des informations complémentaires sur Minecraft (https://www.minecraft-france.fr/dossier-chronique-du-builder-6-killerack/) _killerack_ reconnaissait ne pas trop aimer travailler avec ses compatriotes, plutôt agressifs, prétentieux et animés par une ambition et un esprit de compétition disproportionnés au regard de leur talent. Dans la communauté anglophone, les échanges lui paraissaient plus sereins, et plus constructifs.
Dans cet environnement, Paul Sireau s’exerça à fabriquer des images, pas sur pellicule, pas sur papier ni sur toile, non. Sur « rien » pour ainsi dire. Certes visibles, sur l’écran de l’ordinateur, mais sans autre support concret que cette machinerie abstraite qui nous permet de fabriquer des phrases, calculer, inventer des sons pourquoi pas, et qui se niche dans notre portable ou la « tour » qui se dresse sur notre bureau. Reconnaissons-le : parler d’informatique quand on n’est pas de la partie c’est encore plus difficile que défier Mbappé aux tirs aux buts quand on n’a jamais touché un ballon de foot. Je ne parlerai donc pas d’informatique. Je dirai simplement que les images « fabriquées » par celui qui fut _killerack_ et que le milieu de l’art numérique apprend à connaître sous le nom de Paul Sireau
suscitent en moi un effet de sidération. Parce qu’elles sont, irréductiblement, irréelles Ce sont des absences. Nous ne les rencontrerons nulle part, en tant qu’images concrètes, même pas dans le bureau volant de leur créateur (les Paul Sireau, n’en doutez pas, n’ont d’attaches nulle part, ils flottent quelque part entre hier et des confins à venir difficilement localisables : ce serait folie que vouloir les suivre à la trace).
Ces images qui représentent les plus étonnants, les plus impressionnants, des paysages, ne renvoient à rien de concret. Ils n’existent pas ! Je formule autrement : ils n’ont ni supports (mur, toile, papier), ni modèles. Seulement issus de la conjonction d’un cerveau pas tout à fait comme les autres, (il faudrait y réfléchir !), et d’une technologie encore balbutiante même si elle progresse à pas de géants (cf. https://www.artstation.com/artwork/qy3ne).
Nous avons garni les rayons de nos bibliothèques d’histoires de l’art qui ont toutes les qualités et tous les défauts possibles, mais qui passent toujours à côté de l’essentiel : histoire de la peinture, histoire de la sculpture, histoire de la musique, toujours ne nous est offert qu’un fragment, une petite part d’un gâteau dont on ne nous parle jamais. Or le gâteau c’est l’espèce humaine, la seule bestiole – dans l’univers tel que nous le connaissons actuellement – qui soit capable de consacrer du temps, parfois sa vie, à fabriquer des objets dont le statut échappe aux exigences fondamentales de la survie et dont la valeur reste absolument indéfinissable. Je sais, nous parlons – moi le premier – de « beauté » pour défendre la légitimité de ces objets. Mais prenez le mot et tournez le dans tous les sens, vous aurez toutes les chances de vous disputer avec le monde entier. Est beau ce qui me semble beau, point final et ça ne nous mène pas loin n’est-ce pas ? Par contre, l’envie de le fabriquer ce beau énigmatique – constamment postulé, toujours fuyant – dont l’origine et l’aboutissement se trouvent en moi me paraît bien plus utile à explorer que l’évolution des styles à travers les âges, ou la filiation entre telle ou telle école « artistique ». Parce que c’est elle (avec sans doute d’autres aspirations informulées) qui a poussé des mains à barbouiller des dessins sur les parois obscures des grottes. Qui a poussé d’autres mains à tailler des pierres, à leur donner des formes, à inventer des pigments, à annexer des supports inattendus, papyrus, papier, tissu, à creuser des bouts de bois, à les trouer, pour souffler dedans à la manière du vent dans les branches, à inventer des appareils complexes permettant de produire des sons à proprement parler inouïs. Et c’est cette même envie, cette pulsion aussi puissante que le désir sexuel, qui est à l’œuvre chez le potier, le menuisier, le maçon, quand ils ne se suffisent pas de fournir de l’utilitaire. C’est encore, et je vais m’arrêter là parce que je veux en revenir à Paul Sireau, ce même élan irrépressible qui a créé, de toutes pièces (Dieu lui-même ne s’y était pas risqué) l’appareil à emmagasiner le dehors pour en faire, dedans, du panorama fixe puis animé : « l’arrivée du train en gare de la Ciotat » vaut bien toutes les créations du monde ! Que les Lumière soient, si l’on m’autorise ce pitoyable jeu de mots.
Les œuvres de Paul Sireau sont dans la lignée des dessins de la grotte Chauvet ou de la « sortie des usines Lumière » : elles brisent les murs et redéfinissent le réel à partir de nouvelles bases : l’après ne sera plus jamais comme l’avant. A ceci près qu’au contraire du public qui vit pour la première fois le train entrer en gare de la Ciotat, nous ne quittons pas précipitamment notre fauteuil en voyant surgir sur notre écran ces images qui n’existent pas, en tant qu’images, en dehors de cet écran, et qui ne renvoient à rien de concret, en dehors de la machinerie et du calcul masqués par le dit écran. Et nous acceptons de contempler, admirer, ces compositions illusoires. Comme les Dupont dans le désert, nos sens nous persuadent de l’existence du lac, du rocher, de l’arbre qui s’offrent à nous. Nous éprouvons devant la majesté des (faux) paysages montagneux qui se dressent devant notre regard ce sentiment de « sublime » évoqué par Kant face à l’authentique Nature.
Du temps de _killerack_ Paul Sireau était présenté comme un spécialiste du « terraforming », ce qu’un béotien comme moi interprète comme de la « fabrication de paysages », mais un « terraformer » réaliste (cf. l’interview donnée en référence). Parce que Sireau ne joue pas dans la cour des fabricants à la petite semaine qui prennent prétexte de leur « vision » personnelle, ou d’une « imagination » nourrie et conditionnée par des tonnes de BD populaires pour proposer des patchworks sans âme, bricolages à trois sous qui trahissent le manque de maîtrise et un imaginaire rabougri. Il ne le cache pas (mais il ne le chante pas sur les toits non plus : ceux qui ont approché Paul Sireau savent qu’il ne parade pas sur les estrades et qu’il ne peaufine pas les déclarations grandiloquentes. C’est un taiseux, un méditatif) son amour de la nature environnante, la grandeur de paysages montagneux, lui qui a passé son enfance en apercevant de sa fenêtre le fabuleux Mont Blanc sortir chaque matin des brumes, le goût des couleurs et des formes à la variété infinie fournies par la nature, sont ses sources d’inspiration.
Inspiration oui, mais pas au sens : j’aime les copier ! Non, ce qui le meut c’est le désir, on pourrait dire le « besoin » quand on sait le temps qu’il a consacré à cette activité depuis son plus jeune âge, de faire jaillir, de lui et des outils qu’il utilise, « quelque chose » qui soit à la fois autre et équivalent : aussi grandiose, aussi chatoyant, évocateur, mystérieux, mais différemment. Un monde à lui en quelque sorte, qui serait ce monde que nous traversons et qui nous englobe, mais qui ne serait dû qu’à lui. Lui qui porte le prénom des Gauguin, Cézanne, mais ne s’est pas attardé dans les couloirs des musées, a retrouvé par instinct cette injonction magique qui guida constamment les plus grands des « fabricants d’image », de l’Antiquité à la Renaissance et jusqu’à nos jours : « il faut partir de la nature ».
Partir de la nature, mais…
Avec ce que je suis, moi qui ne suis personne d’autre, et avec les outils que je me suis donné pour me réaliser.
Aux dernières nouvelles c’est dans « le port de Vancouver » – ou à côté ! – que l’étrange oiseau que nous avons vu planer quelques années dans le Nord de l’Isère, se serait posé. Il y travaillerait dans une entreprise cosmopolite et sans tabou à la fabrication de décors virtuels – mais oh combien réalistes puisque des caméras et des comédiens viendront s’y balader – pour des super productions (films et jeux vidéos) bientôt déversés sur tous les écrans de la planète. De quoi rêver d’un autre monde sans courir le moindre risque. Restez chez vous : Paul Sireau livre à domicile.