Le mas du Barret

Berret à Saint-Vérand (1)

par Michel Jolland

Issu d’une famille de gens de robe établie à Saint-Marcellin depuis le 18e siècle – juges, avocats, huissiers, avoués -, Paul Berret naît le 12 avril 1861 à Paris où son père exerce la profession d’agent d’assurances. Son grand-père, Félicien Berret, est une figure saint-marcellinoise bien connue. Volontaire à 19 ans dans la campagne du Dauphiné contre les Autrichiens, opposant libéral sous Louis XVIII et Charles X, avoué, nommé maire-adjoint de Saint-Marcellin le 17 mai 1845 par Louis-Philippe, Félicien est un homme au caractère bien trempé. Paul Berret lui voue une affection profonde. Il lui rend un hommage appuyé dans l’une de ses plus belles phrases, souvent citée : « C’est à vous que je dois d’avoir, dès mon enfance, aimé le Dauphiné, la montagne, l’air libre et peut-être aussi, tout ce qui est grand, tout ce qui est beau, tout ce qui est indépendant ». Marié deux fois et deux fois veuf, Paul Berret aura une fille, Suzanne. Vers la fin de sa vie, il épouse en troisièmes noces sa nièce Marie-Louise Bidal, assurant ainsi à celle qui l’accompagne dans ses vieux jours l’usufruit de la demeure que la famille Berret possède depuis plusieurs générations au hameau de Vernas, à Saint-Vérand. Tout au long de sa vie Paul Berret restera très attaché à cette demeure. Enfant, étudiant, puis professeur dans des villes lointaines, il viendra fidèlement y passer ses vacances avant d’en faire son domicile le moment de la retraite venu.

Berret s’installe définitivement à Saint-Vérand en 1926 mais il est « de Saint-Vérand » depuis toujours. Dans les Alpes Pittoresques du 15 février 1904, journal grenoblois historique, artistique et littéraire, Emile Roux-Parassac, écrivain, poète et journaliste, publie un article élogieux, et avec photographie, sur Paul Berret. Il écrit : « Originaire de Saint-Véran (sic), tout proche de Saint-Marcellin, Paul Berret est à cette heure professeur au Lycée de Versailles ». On ne saurait proposer carte d’identité plus explicite. D’ailleurs, le Mémorial de Saint-Marcellin parle régulièrement de Berret, de son parcours professionnel, de ses conférences, de ses publications et, bien évidemment, il s’est fait un devoir de signaler en bonne place sa nomination au grade de chevalier du Mérite Agricole en janvier 1901. Cependant, en ce tout début de 20e siècle, qui est Berret pour les habitants de Saint-Vérand, pour ces gens de la terre qu’il croise dans ses allées et venues sur les chemins de la commune ? La réponse tient en deux mots : il est « Monsieur Berret », et non « le Paul », « le Jean » ou « l’Henri » comme ils diraient familièrement pour un ami ou une connaissance, même éloignée. Le terme « Monsieur » implique ici le respect, la considération et la reconnaissance d’une position sociale éminente. La tête haute et le regard vif, toujours habillé « en dimanche », professeur dans de grandes villes, écrivain de surcroit, Berret en impose. On le redoute autant qu’on le respecte. On l’accepte comme quelqu’un du pays mais pour la grande majorité des saint-véranais c’est un citadin à l’éducation bourgeoise que l’on imagine à cent lieues des préoccupations du village. Et pourtant.

En 1905 Berret entre de plain-pied dans le débat sur la question scolaire qui agite le village depuis quelques années. L’un des enjeux majeurs est l’ouverture d’une école laïque de filles.  A cette époque Saint-Vérand compte trois écoles : une école laïque de garçons, logée à l’étroit dans un local vieillissant, et deux écoles gérées par une congrégation religieuse, l’une pour les garçons, l’autre pour les filles. Après quelques péripéties judiciaires, l’école « congréganiste » de garçons est fermée, par ailleurs le maire, monsieur Perriollat, parvient non sans difficultés à faire construire des locaux pour la mairie et les écoles laïques dont, nouveauté d’autant plus remarquable qu’elle arrive tardivement par rapport aux communes voisines, une école de filles. La tension entre adversaires et défenseurs de l’école laïque est  à son comble. Le maire est mis en minorité par une partie de ses conseillers municipaux opposés à l’organisation de la fête civique prévue pour l’inauguration de la mairie et du nouveau groupe scolaire, le 24 septembre 1905. Qu’à cela ne tienne : on célébrera l’événement d’une autre manière. L’édile municipal mobilise tous les élus Républicains de l’arrondissement pour un banquet du même nom, présidé par le sous-préfet de Saint-Marcellin. Et il confie le discours solennel à Paul Berret. A l’heure des Vêpres, dans une allocution au titre évocateur – « L’école laïque et ses adversaires » – Berret non seulement prolonge les discours politiques du sous-préfet, des élus républicains et de leurs alliés, mais il les transcende en plaçant la laïcité au-dessus des paroles partisanes comme garante sans faille du progrès et de l’avenir d’un pays rassemblé. Dans son édition du 1er octobre 1905, le Mémorial de Saint-Marcellin, hebdomadaire républicain paraissant le dimanche, publie in extenso le discours de Berret en précisant qu’il a contribué de manière décisive au retentissement inespéré de l’inauguration du groupe scolaire saint-véranais.

Inauguration de la mairie et des écoles à Saint-Vérand en septembre 1905. Berret, tête nue, chapeau haut de forme à la main, sort de la mairie avec les officiels.

Neuf ans plus tard, en 1914, la déclaration de guerre et l’Union sacrée effacent la querelle scolaire : les anciens adversaires et défenseurs de l’école laïque se retrouvent côte à côte pour aider le village à affronter la période difficile qui s’ouvre. Berret, trop âgé pour être mobilisé, est partie prenante de la « Commission d’organisation et de surveillance des travaux agricoles » mise en place pour veiller à la bonne fin des récoltes. Il porte aussi le brassard numéro deux de la milice destinée à aider la garde-champêtre, en toute logique porteur du brassard numéro un, dans sa mission de maintien du bon ordre et de la tranquillité sur le territoire de la commune.

Il faut le reconnaître : si à Saint-Vérand « Monsieur Berret » a pu parfois paraître distant, voire hautain ou arrogant, il a su répondre présent dans des moments de doute, de tension, de rendez-vous avec l’histoire.

Notes

Le portrait de Berret par Nicolas Krycevsky figure dans la revue POESIE, numéro 7, avril 1937.

La photographie proviennent de la collection de l’auteur (droits réservés).