Par Michel Jolland
A ce jour et à notre connaissance, aucun document privé (courrier, commentaires ou notes personnelles…) portant trace des opinions philosophiques, politiques ou religieuses de Berret n’a été repertorié. A défaut, ses écrits publics fournissent quelques indices. Si les nombreux articles de presse et les discours des années 1880-1920 restent à analyser en profondeur, ils dégagent néanmoins en première lecture une adhésion aux valeurs de ce que l’on pourrait appeler la « bourgeoisie intellectuelle » de l’époque : goût du travail et de l’effort individuel, recherche de la compréhension rationnelle du monde, capacité à se construire et respecter une conduite morale, anticléricalisme fondé sur la défense de l’école laïque, sans rejet de la religion. Berret aime aussi rappeler qu’il appartient au monde universitaire, et il laisse volontiers entendre qu’à ce titre il fait partie de l’élite sociale.
Le 11 juin 1887, alors qu’il est professeur au lycée de Saint-Quentin, il signe dans la presse locale un article intitulé « Voyages présidentiels et préséance » en écho à la visite, quelques jours plus tôt, du président Félix Faure dans la sous-préfecture de l’Aisne. Berret ne le précise pas mais on comprend qu’il faisait ce jour-là partie des représentants de l’Université ayant longuement fait antichambre « au milieu de tous les subalternes des fonctions municipales » avant d’être introduits auprès du président de la République, selon l’ordre de préséance établi localement par le sous-préfet. Tout en reconnaissant que les subtilités protocolaires sont parfois sujettes à interprétation, il n’hésite pas à déclarer que « dans certaines villes des sous-préfets instruits » savent malgré tout positionner l’Université au rang qu’elle mérite ! Le tout accompagné d’un message à tonalité politique : « J’entends que dans l’Université on est volontiers philosophe et prêt à dédaigner ces questions de rang ; on y est en outre plus sincèrement républicain qu’ailleurs et l’on sourit, sans se plaindre, des empiètements démocratiques ». Plus que celui de ses représentants, c’est surtout le prestige de l’institution que Berret s’attache à défendre. Une institution dont il va se faire un devoir de porter haut les couleurs à Saint-Vérand.
En mars 1929, le Bulletin de l’enseignement primaire de l’Isère publie la liste des délégués cantonaux, alors nommés pour trois ans renouvelables. Paul Berret figure sur la liste du canton de Saint-Marcellin avec la mention suivante : « professeur de lycée à Paris, à Saint-Vérand ». Retraité à Saint-Vérand depuis l’été 1926, Berret tient à rappeler qu’il a été professeur de lycée à Paris. Sans doute pense-t-il que cela lui confère la légitimité nécessaire à la mission qui lui est confiée. Dans le premier quart du 20e siècle, de nombreux textes officiels, comme les circulaires ministérielles du 10 janvier 1900, du 1er mars 1909, du 5 juillet 1920, du 16 mai 1922 et du 5 décembre 1924, pour ne citer que les plus importantes, précisent le profil et le rôle du délégué cantonal. Celui-ci doit être un « véritable ami de l’école », une personnalité d’influence dont les « actes témoignent d’un dévouement sincère à l’Université ». Le délégué exerce le regard des familles et de la société sur l’école dans des domaines bien délimités : surveillance des locaux scolaires, fréquentation scolaire, hygiène, salubrité et sécurité, œuvres péri et postscolaires. Il veille au bon fontionnement général mais il ne dispose d’aucune prérogative dans le champ pédagogique, ce dernier étant naturellement réservé aux inspecteurs de l’enseignement primaire.
Quoi qu’il en soit, Berret prend sa mission de délégué cantonal très au sérieux. Un peu trop peut-être ? Yves Micheland, élève à l’école primaire de Saint-Vérand, se souvient : « Ce devait être en 1936 ou 1937. Un jour monsieur Berret est venu dans la classe de madame Chapand, notre maîtresse. Elle a fait un signe et tout le monde s’est levé. Monsieur Berret nous a dit de nous asseoir et il a regardé, un par un, nos cahiers d’écoliers. Une fois cette examen terminé, il s’adressé à la classe. Je crois qu’il nous a félicités pour la tenue de nos cahiers avant d’ajouter quelques mots pour nous encourager à bien écouter la maîtresse, apprendre nos leçons et faire nos devoirs. Depuis j’ai l’habitude de dire nous avons été ce jour-là inspectés par monsieur Berret ! ».
NOTES
La photographie de Saint-Vérand dans les années 1930 est extraite de la collection de l’auteur.
Le portrait de madame Chapand est une image tirée du film « Sur les Chemins de lécole – L’école de Saint-Vérand a cent ans », réalisé en 2005 par Chantal Ouvrery à partir d’interviews et d’archives photographiques fournies par Raymond Inard.