par Michel Jolland
Quelle image reste-t-il à Saint-Vérand de Paul Berret entre 1936 et 1943, date de son décès ? Les quelques témoignages recueillis au début des années 2010 auprès d’habitants qui l’avaient fréquenté personnellement, ou qui en avaient « entendu parler » par des personnes l’ayant connu dans les dernières années de sa vie, laissent perplexe. Pour les uns, ses proches et ses admirateurs en général, Berret aurait caché chez lui des aviateurs anglais comme l’indique par exemple, sous forme d’interrogation il est vrai, le compte rendu d’une conférence publique donnée à Saint-Vérand en novembre 2008 ; pour d’autres, qui appuient leurs dires sur ses discours au nom des Anciens Combattants, c’était un « pétainiste ». Afin d’éviter toute supputation hasardeuse, il convient en toute rigueur de se reporter aux déclarations de Berret lui-même, et en particulier à l’allocution du 14 juillet 1940 qui correspond à sa dernière intervention dans la vie publique, du moins à sa dernière intervention documentée. En effet, le bulletin paroissial de Saint-Vérand, riche source d’informations sur la vie locale à l’époque qui nous intéresse, signale en juin 1941, sans cependant les reproduire, les discours du maire de Saint-Vérand et de Paul Berret à l’occasion de la fête de Jeanne d’Arc, célébrée le 11 mai à l’église sous les auspices de la Légion Française des Anciens Combattants.
Dans la période de traumatisme qui suit la Débâcle et l’armistice du 22 juin, la célébration du 14 juillet 1940 à Saint-Vérand est aussi la célébration des idées avancées par le maréchal Pétain. Le bulletin paroissial de juillet-août rend compte des prises de parole qui ont marqué la journée. L’allocution prononcée à la messe paroissiale est ouvertement alignée sur la pensée du Maréchal. L’auteur – dont le bulletin tait le statut et l’identité – rend hommage aux soldats qui ont combattu un ennemi supérieur en nombre et en matériel, ainsi qu’aux mères, aux épouses et aux enfants qui vivent dans l’inquiétude puis, très vite, il entre dans un discours idéologique fustigeant le « régime d’irresponsabilité et de démagogie » qui a placé la France dans le gouffre où elle se trouve, mais dont elle va pouvoir remonter grâce au « régime nouveau d’autorité et de respect du travail, de la famille et de la Patrie », aux « fondements des lois divines , à « l’attachement sacré à la terre » solidement incarné par la Jeunesse Agricole Catholique. A la sortie de la messe, la foule se rassemble devant le monument aux Morts où le maire, après avoir rappelé le sens de la cérémonie et exalté l’héroïsme des soldats et du Maréchal Pétain, passe la parole à Paul Berret. L’allocution de ce dernier ne figure pas dans le bulletin faute de place. Elle sera publiée le 17 juillet 1940 dans le journal « La République du Sud-Est », avec cette précision : son auteur, Paul Berret, est le « président d’honneur des Anciens combattants de la commune de Saint-Vérand ». Bien qu’elle se distingue, pour qui a le sens des nuances, des deux autres par un hommage aux troupes du général Olry qui stoppèrent les Allemands à Voreppe, Saint-Gervais et Saint-Nazaire entre le 22 et le 24 juin, et aussi par l’absence de toute référence directe à la personne de Pétain, l’allocution de Berret soutient globalement les thèses du Maréchal.
Berret a toujours pris soin d’écrire pour la postérité. Il aimait faire éditer ses allocutions, ses discours de remises des prix scolaires, ses conférences. Il s’attachait aussi à toujours préciser le contexte de ses interventions. Nous apprenons ainsi qu’en ce 14 juillet 1940 c’est la troisième fois qu’il prend la parole, à la demande du maire et du président des Anciens Combattants, devant le monument élevé à la gloire des enfants de Saint-Vérand morts pour la France en 1914-18. Le bulletin de janvier 1939 fait état de sa précédente allocution, le 11 novembre 1938 à l’occasion du 20eme anniversaire de l’Armistice, laquelle allocution rappelle elle-même que quatre années plus tôt, soit le 11 novembre 1934, il s’était solennellement exprimé pour la première fois devant le monument aux Morts. Vers la fin de sa vie, affaibli par la maladie, Berret se rapproche de la religion. Il meurt le 4 septembre 1943. Dans le bulletin paroissial de novembre, le curé de Saint-Vérand précise : « Cet homme illustre a cheminé personnellement vers une foi sereine avec toute la grandeur de son âme d’érudit ».
L’analyse du bulletin paroissial montre qu’à Saint-Vérand les idées de Pétain, de préférence nommé « Le Maréchal », sont particulièrement présentes au début de l’année 1941. Une rubrique intitulée « En parallèle – Texte du Maréchal et Textes Pontificaux » apparaît dans le dernier numéro de 1940 et se poursuit au tout début 1941. Le numéro de juin 1941 reproduit une grande partie du discours du maire lors d’un « lever de drapeau aux écoles solennisé par la présence d’une délégation de la Municipalité et de la Légion ». La proclamation finale « Vive le Maréchal, vive la France », qui figure en toutes lettres dans le bulletin, constitue sans doute le point d’orgue du soutien affiché par la paroisse au chef de l’État Français. A partir de juin, la présence du Maréchal se fait plus discrète, elle disparaît en 1942 et, après l’invasion en novembre de la zone libre, le bulletin se réfugie dans une prudence et un attentisme politiques plus ou moins équivoques. Quoi qu’il en soit, jusqu’à la mi-juin 1941 à Saint-Vérand, la convergence de vues entre la municipalité et la paroisse est ostensiblement affichée. D’ailleurs, dans une commune rurale où les petites fermes de polyculture-élevage d’une dizaine d’hectares sont nombreuses, l’idéalisation d’une France du terroir, méfiante à l’égard des élites urbaines et du modernisme culturel, résolument paysanne, catholique et nataliste était à l’œuvre depuis quelques années. A titre d’exemples nous citerons le chant entonné autour d’un feu de camp, le 21 février 1937 au soir de l’affiliation au mouvement national de la section saint-véranaise de la JAC : « Paysan paysan, ta besogne est sacrée ! » ou les premières impressions du curé Jasserand qui, en charge de la paroisse depuis quelques mois, déclare dans le bulletin de janvier 1938 avoir été « douloureusement impressionné par l’abandon d’une vingtaine de maisons », signe que « l’exode rural et la dénatalité qui bouleversent la France » affligent aussi la terre saint-véranaise.
Nous l’avons vu, dans cette période 1936-1941, une troisième composante de la vie locale, les Anciens Combattants, prépare le terrain aux idées du Maréchal avant de leur apporter son soutien. Et elle le fait localement par la bouche de Paul Berret. Pour autant cela fait-il de lui un « pétainiste », au sens plein du terme ? Aujourd’hui, rappelons-le, la distinction entre « maréchalistes » et « pétainistes » est couramment admise : les premiers voyaient dans Pétain le sauveur providentiel capable de protéger les Français, les autres, moins nombreux, partageaient son idéologie réactionnaire et, pour les plus radicaux, défendaient la collaboration d’État avec l’Allemagne nazie. Berret, nous l’avons dit, ne s’est plus exprimé publiquement après mai 1941. Il est impossible de savoir si, et comment, il a réagi à la rafle des Juifs en juillet 1942, à l’invasion de la zone sud en novembre 1942, à l’instauration du Service du Travail Obligatoire (STO) en février 1943, trois faits qui vont beaucoup éloigner les Français de la politique de Vichy. Et qui peut affirmer ce qu’aurait fait ou dit Berret s’il avait traversé les années d’occupation ? Un exemple confirme tout le bien-fondé de cette interrogation. En octobre 1944, publiant la liste des victimes des soldats allemands, de la Gestapo et de la Milice, le curé Jasserand qui de 1939 à 1941 ouvrait largement son église et les colonnes de son bulletin paroissial aux maréchalistes, condamne sans réserves la « barbarie allemande » et des « lamentables et cruelles représailles » exercées dans le village voisin de Presles.
Ironie de l’histoire, c’est l’école communale qui honorera la mémoire de Berret après la guerre. Deux personnalités marquent alors de leur empreinte la vie au village, le curé Jasserand et l’instituteur. Le curé a ses ouailles, nombreuses. Quelques réfractaires préfèrent le rationalisme laïque de l’instituteur. Or cet instituteur, que beaucoup, par naïve simplification ou pure provocation, qualifiaient de « communiste », se faisait un devoir de faire connaître à ses élèves Paul Berret, merveilleux chantre du Dauphiné et de ses emblématiques « brûleurs de loups ».
NOTES
La Conférence sur Paul Berret, écrivain, historien, conteur, photographe, donnée le 14 novembre 2008 à Saint-Vérand sous l’égide de l’association Saint-Vérand Hier et Aujourd’hui a fait l’objet d’une simple publication interne.
Les illustrations du présent texte sont issues de la collection de l’auteur.