Par Michel Jolland
Sur la commune de la Roche-de-Glun (Drôme), deux châteaux d’eau bordent la RN 7 sur le tronçon très fréquenté qui relie Valence à Tain l’Hermitage. Surgissant au dessus des arbres fruitiers, des maisons d’habitation, des entrepôts ou ateliers industriels, ils habillent l’horizon de leurs silhouettes élégantes. Le plus ancien des deux vient de bénéficier d’une remise en état visible au premier coup d’œil : une peinture gris souris recouvre désormais le béton brut et met en relief les nervures extérieures qui forgent son identité. Une restauration qui prolonge et rehausse la recherche esthétique présente dès sa conception au début des années 1970. Même si la concurrence est rude, notamment avec la présence de réalisations exceptionnelles dans la ville voisine de Valence, ce château d’eau rural dans une zone désormais semi-urbanisée peut à bon droit être placé parmi les plus beaux de France.
Bien que présents à Rome dès le premier siècle de notre ère, les châteaux d’eau se sont développés en France à partir du XIXe siècle seulement. C’est l’époque où l’essor du chemin de fer et de ses locomotives à vapeur, ainsi que l’afflux vers les villes de nouvelles populations happées par la révolution industrielle, augmentent et concentrent les besoins en eau. Le sources et les fontaines ne suffisent plus à assurer un approvisionnement régulier, surtout lorsque, progressivement, le « passage à l’eau courante » va se répandre. Dans les gares, dans les villes, dans les campagnes on va multiplier, sous la forme de châteaux d’eau, les installations adaptées à la demande croissante. Le principe des châteaux d’eau est simple : il s’agit de stocker une importante quantité d’eau dans un réservoir surélevé par rapport au réseau de distribution. Cela permet de sécuriser la disponibilité de la ressource, d’améliorer la pression au robinet et de mieux préserver la desserte en cas d’événements particuliers, tels que les sécheresses ou les incendies.
Dans son célèbre traité De architectura, Marcus Vitruvius Pollio, plus connu sous le nom de Vitruve, architecte romain ayant vécu au 1er siècle avant Jésus Christ, énonçait les trois qualités qu’il jugeait indispensables à toute construction : la solidité, l’utilité et la beauté. Nul doute que dans le cas des châteaux d’eau les deux premiers critères ont toujours été essentiels et respectés. Sans entrer dans les débats et les évolutions qui, au fil des siècles, ont modelé la notion du « beau », terme aujourd’hui plus ou moins supplanté par le qualificatif « esthétique » (« Qui a un certain caractère de beauté, d’harmonie, qui est agréable à voir », selon la définition du dictionnaire de l’Académie française), il faut reconnaître que le souci de beauté s’est peu à peu imposé comme une composante à part entière de ces constructions. Il est vrai que nous avons tous, à un moment ou un autre, croisé du regard un de ces châteaux d’eau obstinément et massivement inscrit dans notre champ visuel, mais de manière si peu harmonieuse qu’il formait pour ainsi dire une véritable verrue dans le paysage. Dans les années 1970 toutefois le développement de la sensibilité à la protection de l’environnement et des paysages va introduire une nouvelle contrainte. Désormais on attend des châteaux d’eau qu’ils soient non seulement fonctionnels, mais aussi esthétiques.
Le premier château d’eau de La Roche de Glun a été mis en service en 1972, à un moment où s’intensifiaient l’urbanisation et l’industrialisation de la vallée du Rhône. L’ouvrage est remarquable par la recherche de l’élégance plastique et la volonté d’intégration au paysage dont, manifestement, ses concepteurs ont fait preuve. C’est un bâtiment de béton en hyperbole, aux proportions harmonieuses, enrichi de renforcements extérieurs à la fois rectilignes et vrillés, communément appelés « nervures ». En 2010, la commune de La Roche de Glun envisage de se doter d’un nouveau château d’eau. Les ingénieurs pensent reproduire le modèle déjà en place mais, considérant qu’ils engagent un autre projet avec d’autres techniques, ils abandonnent la recherche de la similitude à tout prix. C’est une tour de forme hyperboloïde en béton de ciment blanc qui rappelle, sans le copier, le premier château d’eau qui sera finalement érigée en 2015. Équidistants de la route et situés sur un axe perpendiculaire par rapport à elle, les « faux jumeaux » se font aujourd’hui face avec grâce.
Le plus ancien des deux vient de bénéficier d’une remise en état qui prolonge la recherche esthétique présente dès sa conception au début des années 1970. La belle couleur grise qui le recouvre et le blanc éclatant qui, par un heureux contraste, souligne ses nervures et sa couronne sommitale rehaussent la beauté sobre qui le caractérise. L’ensemble traduit une continuité harmonieuse entre l’homme, ses réalisations techniques et son environnement. Dans la ville voisine de Valence, les deux châteaux d’eau du sculpteur Pilolaos, classés « Architecture contemporaine remarquable » symbolisent cette forme de beauté, tout à la fois dépouillée, réfléchie, audacieuse. https://vpah-auvergne-rhone-alpes.fr/ressource/le-ch%C3%A2teau-d%E2%80%99eau-de-valence-le-haut
A Valence toujours, deux réalisations en voie d’achèvement, les châteaux d’eau de Lautagne, donneront bientôt à voir une esthétique différente, librement inspirée du Mucem de Marseille et du Cube orange de Lyon Confluences. https://www.valence.fr/fr/connaitre-la-mairie/eau-de-valence/les-nouveaux-chateaux-d-eau-de-valence.html
Solidité, utilité et beauté : les préceptes de Vitruve sont toujours d’actualité !
NOTE
Les photographies appartiennent à l’auteur. Droits réservés.