Par Jacques Roux
Dans le livret « Osmose » conçu graphiquement par Jean-Pierre Gelly et annoté par ses soins, on trouve rassemblés – non pas chronologiquement mais dans le type de désordre qui prédomine dans nos souvenirs lorsque nous cherchons à les évoquer (l’un appelle l’autre puis dérive, selon une logique qui échappe aux diktats de la raison) – les dessins réalistes des débuts, les paysages à l’aquarelle, la longue période chinoise (Pazdzerski a travaillé près de 20 ans avec des maîtres chinois et il s’est initié à la calligraphie), et les créations non figuratives, elles-mêmes très diversifiées. Un patchwork ? Non. Une sorte de partition visuelle semblable à une composition musicale, mélodieuse, aux détours parfois déconcertants, mais enveloppante.
Ce parcours visuel s’accompagne de commentaires distillés par l’auteur avec pudeur, à l’occasion surplombant l’œuvre visée, comme s’il en tirait une leçon de style, ou bien tantôt effleuré par elle, frémissement léger, tantôt touché au plus intime de son passé, à moins qu’il n’apporte avec un rien de distance, ou d’humour, ou piochant dans quelque répertoire une citation qui fait mouche, un contrepoint éclairant. Au final, mais bien entendu nous ne pouvons mettre sur la table le contenu d’un livret qui sera l’accompagnement obligé de la future exposition, le choix des images, leur disposition et les commentaires constituent un ensemble qui, par lui-même, forme un tout. Pareille osmose n’a pas d’autre ambition que donner à comprendre que, aussi différenciées soient-elles, les œuvres de Pazdzerski sont intrinsèquement unies les unes aux autres. Et à leur créateur. Là aussi, il y a osmose.
Jean-Pierre Gelly a suivi une formation de typographe. Ce beau métier il y a fait ses débuts quand celui-ci, héritier d’une tradition remontant aux fondateurs mythiques, ne faisait que développer et améliorer ses techniques, ses savoir-faire, mais lorsqu’aux portes du XXIe siècle il se résolut à l’abandonner de cette tradition et son histoire il ne restait rien. Tout se passe désormais « hors de l’atelier ». C’est pourquoi il a consacré plusieurs années à construire un « ouvrage mémoire », à la première personne (c’est aussi sa propre histoire qu’il raconte), hommage à cette profession et aux pratiques qu’elle mettait en œuvre, évoluant sans cesse jusqu’au moment où le numérique signa son arrêt de mort. Ce livre musée – qui alterne récit et documentation technique – fera date lorsqu’un un éditeur courageux le prendra en charge. Toujours est-il que tout en cheminant (l’imprimerie Lienhart pour laquelle Jean-Pierre Gelly œuvra a produit des milliers de titres et reste un des fleurons de ce type d’entreprise au XXe siècle) il s’est peu à peu formé et spécialisé dans toutes les composantes de la profession, ce qui explique que la composition, la mise en page d’un livret comme « Osmose » relève pour lui d’un type d’exercice longtemps pratiqué. On lui doit notamment la magnifique édition de deux livres d’art : l’un consacré à son maître en écriture Giono et illustré par deux graphistes, dessinateurs, graveurs, rencontrés lors de son parcours, le couple Fonteinas, l’autre produit par la FOL Ardèche, titré Virgile mais, pour l’essentiel, consacré aux créations du peintre Josiane Poquet. Il est aussi conteur, romancier (il vient de publier « La colombe noire »),
L’amitié de Pazdzerski et de Jean-Pierre Gelly est celle de deux hommes, mais aussi celle de deux artistes qui se veulent et sont de vrais « professionnels ». Il en résulte et c’est une autre façon d’interpréter le « Osmose » qui titre non seulement le livret mais aussi l’exposition d’Aubenas, une complicité faite d’exigence et d’implication. Les vingt années auxquelles nous avons fait allusion consacrées par Pazdzerski à l’apprentissage de la calligraphie et à l’approche de la peinture chinoise en seraient si besoin était la preuve, Et ce qui est admirable c’est que dès ses débuts professionnels, l’art du trait évocateur, le souci de l’ellipse et de la condensation du temps et de l’espace étaient présents chez lui. Ainsi que le goût des formes échappant à toute connotation réaliste, ce qui caractérise sa manière actuelle. Il suffit pour s’en convaincre d’isoler quelques détails sur une affiche produite dans les années 80.
A côté du caractère allusif caractérisant l’aquarelle se trouvent déjà les prémices de ses travaux à venir.
Pazdzerski (André-Charles) est sociétaire de la Maison des Artistes depuis 1988, Il a exposé au Coliseum de New-York, au Market Hall de Dallas, à Tokyo au Musée de Dalian en Chine, au Salon d’Automne des Champs Elysées, au Grand Palais, etc. Deux mini albums présentant ses œuvres récentes, ont été rédigés par Jean-Gérard Dubois, poète, historien et graphiste et par Yves Paganelli, un des grands de la chanson ardéchoise, auteur compositeur, interprète et par ailleurs romancier. Preuve s’il en est que son travail, conçu dans l’isolement et dans une démarche totalement autonome, subjective, est susceptible d’être reconnu, apprécié et partagé par d’autres.
Jean-Pierre Gelly, outre son travail d’imprimeur auquel il a été fait allusion, aura été un des acteurs majeurs de la vie citoyenne albenassienne et ardéchoise pendant plus de trente ans. Fondateur de la section ardéchoise d’Amnesty (et un de ses membres à l’échelon national), président de l’Association « De Source Sûre » fondatrice et gestionnaire de l’une des plus anciennes radios locales « Fréquence 7 » (elle émet depuis 1981), participant actif à la revue Envol de la FOL Ardèche (auteur de textes, metteur en page, graphiste, inspirateur) et en même temps passionnément engagé dans la vie de sa paroisse (il a été l’un des soutiens d’un « prêtre ouvrier » des plus emblématiques – concept et moment de l’histoire du catholicisme bien oubliés !). Organisateur d’expositions, d’événements publics en tous genres, citoyen et personnalité d’envergure et d’ouverture. Et écrivain dont tout un pan de l’œuvre reste à découvrir. « Osmose » sera l’occasion de s’en faire une idée.