par Michel Jolland
Au sud de la commune de Murinais, implantée à l’extremité d’un promontoire qui domine une vallée fertile et les coteaux boisés de Quincivet, la maison forte de Brochenu est admirablement située. Elle présente une tour quadrangulaire massive s’élevant sur trois niveaux et, adossée côté sud, une dépendance visiblement ajoutée. Les propriétaires actuels précisent qu’à la fin des années 1920 un quatrième niveau aurait été supprimé à la faveur d’un remplacement de la toiture. Il s’agissait sans doute de combles aménagés sous le toit car la rangée d’ouvertures carrées destinées à aérer la charpente, typiques de ce genre de construction et que l’on retrouve par exemple à la maison forte voisine, dite « le château » de Quincivet, laisse à penser que les murs de la tour sont dans leur configuration d’origine.
La façade nord mérite attention. Elle garde la trace de deux portes hautes étonnamment situées à l’angle nord-ouest du bâtiment. Alors que celle du bas, ouverte sur le premier étage, est entièrement obstruée, celle du haut l’est en partie seulement, de manière à compléter la rangée d’ouvertures carrées du deuxième étage. Ce dernier niveau était parcouru par une galerie extérieure, au moins sur cette façade nord qui conserve deux corbeaux nettement identifiables sur un mur portant par ailleurs les stigmates de divers remaniements. Avec sa fenêtre à meneaux, la façade principale est celle donnant à l’est sur Quincivet et le Vercors. Surmontée d’une imposante arcature, la porte d’entrée est de facture relativement récente mais le seuil en molasse, usé par les passages répétés, préfigure l’escalier en dalles du même matériau qui dessert la pièce noble du premier étage. A l’intérieur comme à l’extérieur, ce que l’on voit aujourd’hui des bâtiments est marqué par leur adaptation à une vocation agricole déjà ancienne.
Si l’on en croit certains auteurs, la famille de Brochenu se rendait à l’église voisine de Quincivet pour les offices religieux. Cela s’est-il régulièrement produit au cours de la longue période (1317-1646) où ils habitèrent leur maison forte ? Nous n’avons aucune indication à ce sujet. Ce qui est certain en revanche, c’est que jusqu’en 1674 le domaine de Brochenu verse sa dime au décimateur commun de la paroisse de Murinais et de celle, créée en 1644, de Quincivet, tout simplement parce que les curés de l’une et de l’autre, les frères Foity, prêtres, ont établi une convention « familiale » en ce sens. Les choses se gâtent quand le curé Foity de Quincivet, décédé, est remplacé par le curé Chabert. Curé pauvre dans une paroisse pauvre, ce dernier engage un triple combat qui, de transactions dénoncées à peine établies, de procès en arrêts de la Cour du Parlement de Grenoble, durera jusqu’à la Révolution et même au-delà. Se fondant sur les accords passés en 1644 au moment de la nomination de son prédécesseur, mais systématiquement dénoncés par l’une ou l’autre des parties, le curé Chabert réclame à l’Abbaye de Montmajour, autorité religieuse dont dépend son église, une portion congrüe suffisante pour pouvoir vivre, à la communauté unique de Saint-Vérand et Quincivet un logement, à la paroisse de Murinais les dimes des habitants du lieu qui suivent les offices à Quincivet. C’est là, au cœur du différend qui opposera longtemps les curés de Murinais et de Quincivet au sujet du périmètre de recouvrement de leurs dîmes respectives, que nous retrouvons, âprement revendiquées par les deux parties, la maison forte de Brochenu et ses appartenances.
La maison forte de Brochenu, nous l’avons dit, est voisine de Quincivet. Elle est également proche d’un autre lieu dont nous aimons parler dans ces pages : les « Terres blanches » de Saint-Vérand (voir les articles du 20 août et du 31 décembre 2016). Le 8 août 2016, le professeur Debelmas, géologue internationalement reconnu et président en exercice de l’Académie delphinale, vient effectuer une première expertise de cette étonnante curiosité géologique. Le site offre un point de vue exceptionnel sur le Vercors à l’est et, au nord, sur les coteaux de Murinais. Avec son regard de passionné pour les bâtiments anciens fortifiés, le professeur Debelmas repère immédiatement la maison forte de Brochenu. Peu de temps après, alors que s’organise sa deuxième visite aux Terres blanches, il fait savoir qu’il rêverait de la visiter. Ce qui sera chose faite le 28 octobre 2016.
Quincivet, Brochenu, les Terres blanches : des lieux à leur manière chargés d’histoire qui n’ont pas fini de susciter la curiosité.