Par Michel Jolland
« L’affaire du Cumacle », ou plus modestement les interrogations et les hypothèses sur l’origine, la signification, le périmètre et les conditions d’utilisation de l’expression « couper le cumacle », a déjà motivé deux vignettes sur le Mas (17 mai et 9 juin 2022). Si quelques pistes ont été explorées, le dossier n’en reste pas moins ouvert. Et « Lo Kristian », qui suit les débats de très près, en a fort judicieusement profité pour nous adresser le message suivant :
« Le Kemâkl, le chambrèr et autres porte-poele auran byenteu plu de secret pe nez’ôtr ! Pinsse à kokarin : kan se passe kokarin d’extraordinaire, n’on de ke va bravamin plôr o chèr de né … et tyin é pâ byin bon pe la vieille chemina! … alors, faut-y pâ « kopâ le Kemâkl », pe évitâ ina katastrôf ? To tyin é, bin seu, ke de seupozission… » (Les cumacles, les chambrières et autres porte-poêles n’auront bientôt plus de secrets pour nous ! Je pense à quelque chose : quand il se passe quelque chose d’extraordinaire, disons par exemple qu’il va beaucoup pleuvoir ou tomber de la neige… et ça ce n’est pas bien bon pour la vieille cheminée, alors ne faut-il pas « couper le cumacle », pour éviter une catastrophe ? Tout cela bien sûr, ne sont que des suppositions…).
Si je me réfère à la désormais mythique cheminée de la maison du Barret, directement ouverte sur le ciel par une béance rectangulaire d’au moins 70 cm x 40 cm, je dois reconnaître que les pluies diluviennes peuvent être source d’inquiétude. Réputées valoir « un bon ramonage », pratique abandonnée depuis fort longtemps dans ladite maison car bien trop risquée en raison de l’état de vétusté du conduit de fumée, elles entrainaient la chute de suie, mais aussi, et cela était bien plus préoccupant, de débris plus ou moins importants de maçonnerie. L’idée de grand danger évoquée par Christian a du sens et, pour peu que l’on veuille bien, comme lui, considérer que ce danger étant tout à fait extraordinaire il motive une décision pareillement exceptionnelle, il y a là une explication plausible de l’origine de l’expression « couper le cumacle ». On se souvient qu’au sens figuré l’expression est employée par notre ami Jacques Roux et sa famille pour, précisément, souligner, avec semble-til un brin de gentille moquerie, le caractère inhabituel, exceptionnel, extraordinaire d’un comportement ou d’un événement qu’en d’autres lieux ou d’autres circonstances on pourrait sans doute juger banal (http://www.masdubarret.com/?p=2898).
Les locutions telles que « couper le cumacle », peu communes, à l’usage limité à un hameau ou une famille, finissent toujours par prendre le large, nous venons d’en vivre l’expérience. Leur originalité apporte un peu de sel à la langue quotidienne. Je me souviens d’une habitante de Rossat qui, au retour du marché à Saint-Marcellin, échangeait rituellement quelques mots avec ma grand-mère. Quelle qu’ait été la question, cette personne répondait invariablement « Oh vous savez, quelque chose ou n’importe ! ». Aujourd’hui encore je m’interroge sur la siginification qu’elle donnait à cette expression étrange, jamais entendue ailleurs que dans sa bouche. Et pour revenir au patois, Armand Mante rapporte, dans son roman autobiographique « Le temps s’élève », une belle curiosité de langage : « m’in voué far in ku de ma tête » (je m’en vais faire un cul de ma tête), en précisant que son personnage l’utilisait couramment pour dire qu’il devait, devant l’impossibilité de faire ce qu’il voulait faire, « changer de méthode, tout rependre à zéro, inverser les choses ». On ne saurait trouver image plus parlante !
Notes
Photographie : « Lo Kristian » en tenue de patoisant dauphinois (Collection C. Pevet).
Le temps sélève a été publié par Armand Mante aux Presses Universitaires de Grenoble (1995). L’expression rapportée figure p. 193.