Le mas du Barret

Entre deux clichés – Noël Caillat, notes et anecdotes

Par michel Jolland

Noël Caillat n’est pas un inconnu pour les lecteurs du Mas du Barret. Ses talents de photographe y ont été signalés le 19 septembre 2019 par Maxime Nallé sous le titre « Les photographies de Noël Caillat défient le temps – Les journées du patrimoine 2019 à Saint-Vérand (Isère) ». Dans ce village, son village, on consacrait en effet une exposition à quelques-unes de ses œuvres les plus marquantes, commentées avec talent par Jacques Roux dans un fascicule qui contribua grandement à faire apprécier la puissance et la délicatesse du regard posé par le photographe sur les gens, les lieux, les situations. Par ailleurs, certains clichés de Noël Caillat ont donné tout leur sel à quelques articles du Mas, comme celui intitulé  « Sous la peau de l’image » , daté du 11 avril 2021. Nous nous proposons aujourd’hui de nous intéresser à l’homme, en mettant à profit certaines des anecdotes qu’il nous a confiées il y a plus de dix ans.

A Saint-Vérand, où il naquit en 1924 dans une famille d’agriculteurs, on garde bien vivant le souvenir de sa présence discrète et attentive, de son regard pétillant d’humour, de sa gentillesse et de sa véritable passion pour les images. A son décès en 2013, il a une laissé une collection de photographies et de films consacrés au village, à ses habitants et à certains des événements ayant marqué les esprits entre 1950 et la fin du XXe siècle.

Un jour de janvier 2009, à l’issue d’un long échange au sujet de l’évolution de la vie locale au cours des décennies précédentes, Noël, décidément en verve ce jour-là, se laissa aller à quelques souvenirs plus personnels. Nous les avons alors pris en note parce qu’ils faisaient partie intégrante du témoignage que nous étions venu recueillir. Plusieurs années plus tard, nous les redécouvrons sous un nouveau jour. Ils laissent transpirer la personnalité malicieuse de leur auteur et, d’une certaine façon, enrichissent la lecture que l’on peut faire de ses clichés : une approche sans prétention des faits et des êtres, une absence évidente de préjugés accompagnée d’une liberté de jugement indifférente aux hiérarchies et aux conventions, sans oublier un humour constant, décalé mais jamais dans la dérision ni la méchanceté. Nous avons retenu, entre toutes, trois anecdotes. Elles tracent en creux une sorte de portrait de celui qui « tira le portrait » de tous ceux qui croisèrent sa route.

Rendez-vous manqué avec le « certif »

Noël Caillat a par deux fois manqué le rendez-vous avec le Certificat d’Études Primaires (CEP), le « certif » comme on disait familièrement.  En 1937, le maître, monsieur Chapand, le présente avec tous ses camarades du même âge. La veille des épreuves, l’Inspection de l’enseignement primaire fait savoir qu’une interdiction de passer l’examen a été prononcée à l’encontre de l’élève Caillat, au motif rédhibitoire qu’il avait totalisé plus de dix jours d’absence au cours de l’année scolaire. Cette année-là en effet Noël avait eu une crise d’appendicite. L’année suivante, c’est un furoncle au genou qui lui fait manquer l’école huit jours, juste avant l’examen. Cette fois-ci, Noël lui-même, n’étant pas au mieux de sa forme, décide de ne pas se présenter. Dès le lendemain cependant il revient en classe et, avec quelques autres « grands » appelés à être candidats l’année suivante, il se confronte aux épreuves du CEP qu’il vient de manquer. Le maître lui annonce qu’il aurait réussi. « Eh bien puisque j’aurais réussi je quitte l’école ! »… Anecdote douce-amère qui laisse deviner l’absence d’atomes crochus entre et l’élève et le maître, et sans doute aussi chez Noël le regret de n’avoir pas eu « son certif », diplôme qui avant l’explosion de la scolarisation secondaire dans les années 1950 avait une réelle portée sociale.

Dimanche 16 septembre 1990 à Saint-Vérand, les anciens élèves rendent hommage à leurs anciens maîtres d’école. Au centre de la première rangée, madame Chapand, à ses côtés, en costume, cravate et lunettes de soleil, monsieur Chapand. Noël Caillat, en chemise bleu, est au dernier rang.

Débuts en photographie

Pendant la guerre 1939-45, le curé de Saint-Vérand, le père Joseph Jasserand, est un jour amené à organiser une cérémonie de communion spéciale pour les enfants de réfugiés. Naturellement, les familles demandent au curé de prévoir la traditionnelle photographie. Le photographe attitré pour ce type d’événement, un professionnel de la ville voisine, refuse de se déplacer. Qu’à cela ne tienne, le  curé Jasserand possède un appareil 9×12, il opérera lui-même ! Un détail cependant vient contrarier son plan : la tradition veut que le curé soit présent sur la photo de communion. C’est donc Noël Caillat, déjà repéré pour son habileté dans ce domaine, qui jouera les photographes. A la sortie de l’église, tout le monde se met en place, le curé Jasserand fait la mise au point et Noël prend deux clichés. Quelques jours après il se rend à la cure. Gustine, la sœur et servante du curé, le reçoit fraîchement : « Mon frère n’est pas content, c’est tout raté. Tu as bougé, les clichés sont tout flous ! ». Noël ne se démonte pas, il demande à voir les plaques et constate que les prises sont très nettes. Il emporte le tout chez lui et fait un développement au format 6×9 sur du papier de fortune qu’il fixe tant bien que mal sur un support cartonné avant d’aller montrer le résultat au curé. Celui-ci est bien obligé de reconnaître la qualité des photos. Il fait en sorte de trouver du papier adéquat à Grenoble et tire trente exemplaires qui seront tous vendus. Noël a toujours pensé que le curé avait volontairement flouté le premier tirage parce que ce n’était pas lui qui avait personnellement pris les photos ! L’année suivante, on fera à nouveau appel au professionnel, mais avec « la communion des réfugiés », Noël avait pris rang pour, le moment venu, le remplacer comme photographe « officiel » des cérémonies marquantes de la vie de la paroisse et du village. C’est d’ailleurs ce qu’il fera dès la fin des années 1940.

Noël teste un nouveau remède contre les oreillons (Munich 1958).

A Saint-Vérand, dans les années 1950, le curé Jasserand est omniprésent. Au-delà de ses missions pastorales et de la gestion de l’École libre, il développe des activités que l’on pourrait appeler d’animation comme, par exemple, l’organisation de spectacles culturels et de déplacements, pèlerinages ou visites de découverte, désormais entrés dans l’histoire du village sous le vocable « Voyages du père Jasserand ». Le voyage de l’année 1958 passe par Bâle où l’on visite le zoo. Noël Caillat, maintenant solidement installé dans la fonction de  « reporter photographe officiel » pour ce type d’événement, est bien sûr de la partie. Au zoo de Bâle, il ne se sent pas très bien et la route vers l’étape suivante, Munich, lui paraît interminable. « C’est un petit coup de fatigue » lui dit-on pour le rassurer. Mais à l’arrivée force est de constater qu’il est vraiment malade. Tout porte à croire qu’il a les oreillons. C’est l’heure du repas du soir. Noël se met à table et, au moment où il s’apprête à prendre des cachets d’aspirine, il ne trouve pas d’eau. Il le signale en agitant significativement son pouce au-dessus de son verre. Un serveur revient immédiatement avec… du vin blanc ! « Le mélange est bien passé » se souvient Noël. On lui donne une chambre pour lui seul, il se couche et transpire jusqu’à être complètement trempé. Il commence à se sentir mieux alors qu’un médecin allemand, dûment alerté, arrive. Une des plus jeunes participantes au voyage, encore lycéenne et déjà brillante germaniste, joue les interprètes. Le verdict tombe : il s’agissait bien des oreillons. Malgré l’amélioration, le médecin prescrit quelques remèdes et conseille à Noël de rentrer au plus vite chez lui pour prévenir les risques de contagion. Le lendemain matin au petit déjeuner notre malade regarde les tartines avec appréhension mais, les douleurs ayant miraculeusement disparu, il mange de bon appétit. Il se sent complètement guéri.

Sommé de rentrer chez lui au plus vite, Noël n’a d’autre choix que l’avion. Le curé l’accompagne à l’aéroport et commence à discuter avec le personnel… en franco-latin, et en vain ! Heureusement qu’il avait eu la bonne idée d’emmener avec lui sa jeune interprète. Noël se voit attribuer la dernière place et l’avion rallie Genève sans encombre. A Saint-Vérand, on s’est mis en route dès qu’on a connu les modalités du rapatriement en urgence. « C’est Sellier, un ouvrier de mon frère, et ma belle-sœur qui sont venus me chercher. Mais voilà, ils sont allés à la gare au lieu de l’aéroport !!! Finalement, grâce à mon frère qui depuis Saint-Vérand faisait le lien au téléphone, on s’est donné rendez-vous à un endroit d’où je pouvais surveiller les voitures. Je ne pouvais pas me tromper, ils avaient pris ma 2 Cv toilée.  A Genève, on n’en voyait pas beaucoup ! ». La 2 Cv arrive, Noël s’avance, la tête soigneusement enrubannée car, pour éviter que les oreillons ne posent problème lors des divers contrôles, le curé Jasserand avait subtilement mis en scène une rage de dents. Surpris, Sellier s’exclame : « Mais qu’est-ce qu’il veut ce Guignol ? ».

Le photographe photographié !

De retour au bercail, en plein milieu de semaine alors que le voyage du curé Jasserand se poursuit, Noël, qui travaille alors dans un laboratoire de développement et de tirage photographiques à Saint-Marcellin, appelle son employeur : « Voilà, j’ai eu les oreillons, en principe je suis encore malade mais en fait je suis guéri, est-ce que je peux venir donner un coup de main ? ». Son patron lui conseille d’attendre un peu. Le lendemain, Noël n’y tient plus. Il décide de se rendre au laboratoire, juste après le repas. L’invité régulier du jeudi midi, le docteur Durieux, est encore là : « « Alors Noël, c’est comme ça que vous faites passer les oreillons ? Vin blanc et aspirine, il fallait y penser ! Vous avez trouvé un remède du tonnerre dites-donc ! ». Puis, s’adressant à son hôte « C’est efficace, je peux vous assurer qu’il est complètement guéri, il peut reprendre le travail dès maintenant !  ». Ce qui fut fait.

En 2009, Noël conclura l’anecdote avec un brin d’autodérision malicieuse : « On se fait une montagne des oreillons, surtout chez les adultes. Eh bien pour moi ça s’est résumé à un verre de vin blanc avec de l’aspirine, un voyage interrompu et un retour au boulot plus tôt que prévu… ».

L’art de présenter en toute simplicité le non ordinaire : la marque de fabrique « Noël Caillat ».

Quand il effectuait le reportage officiel d’un « voyage du père Jasserand » Noël ne manquait aucune occasion de réaliser un cliché drôle ou insolite.

PHOTOS

A l’exception du portrait mis en exergue, dû à Marie-Claude Roux et datant de 2005, tous les clichés appartiennent au fonds photographique mis à disposition de l’auteur par Noël Caillat.

NOTES

Sous la peau de l’image – Le travail du temps http://www.masdubarret.com/?p=1903

Les photographies de Noël Caillat défient le temps – Les journées du patrimoine à Saint-Vérand (Isère), 19 septembre 2019 http://www.masdubarret.com/?p=922

Jacques ROUX, NOËL CAILLAT, l’oeil photographe. Prolégomènes pour une exposition fondatrice (Saint-Vérand (septembre 2019). Les Cahiers de Saint-Vérand Hors-série n° 10 . Éditeur : Association Saint-Vérand hier et Aujourd’hui (mairie de Saint-Vérand 38160).

L’exposition NOËL CAILLAT, l’oeil photographe, peut être empruntée par des associations, écoles, organismes, collectivités. Contact : mairie de Saint-Vérand (38160)