On tourne autour du tilleul
Par Michel Jolland
Bien que centré sur les églises actuelles, notre article du 28 mars 2022 évoquait l’énigme de celle de Quincivet, attestée dès 1204 et aujourd’hui disparue sans laisser de traces matérielles apparentes. L’article se terminait même sur une note prometteuse laissant entrevoir la fin des incertitudes quant à l’orientation géographique du bâtiment : « L’avenir devrait nous le dire bientôt : Lionel Darras, ingénieur CNRS en instrumentation géophysique (UMR51-Archéorient Lyon), met la dernière main à l’analyse des données issues des prospections géophysiques conduites sur place au cours de ces dernières années. » Où en sommes-nous en ce début d’année 2023 ? Sans reprendre toutes les données déjà présentes sur le Mas, et pour répondre à la demande amicale de plusieurs de nos lecteurs, nous présentons ici une synthèse rapide des recherches entreprises depuis une quinzaine d’années.
Rappelons que la terre Quincivet, formant seigneurie et paroisse à part entière sous l’Ancien Régime, fut intégrée à la commune et à la paroisse de Saint-Vérand (Isère) dans le sillage de la Révolution. Selon les Registres paroissiaux de Quincivet, ouverts en1632, la dernière inhumation dans le cimetière du lieu date du 26 octobre 1792. Dix ans plus tard, le 1erfloréal an X (21 avril 1802), le préfet de l’Isère lance une enquête sur « l’état des édifices non aliénés servant à l’usage des cultes dans l’arrondissement de Saint-Marcellin ». Le document fourni en réponse mentionne l’église de Quincivet, décrite comme une « petite église » dédiée au culte catholique, pouvant contenir 200 personnes, et dont le « couvert » est « en mauvais état ». Ces quelques mots, écrits en avril 1802, représentent la dernière mention connue, dans un document officiel, de l’église de Quincivet car, détail important, celle-ci ne figure pas sur le cadastre napoléonien, établi en 1830 pour la commune de Saint-Vérand. Pour autant, les archives antérieures au 19e siècle ne sont pas avares d’informations. Nous avons eu l’occasion d’en commenter un certain nombre dans nos précédents articles (1). Nous revenons aujourd’hui sur deux points qui ont leur importance pour comprendre la logique des recherches de terrain.
En premier lieu, les indications du docteur Courtieu, auteur de chroniques historiques largement diffusées dans les années 1960, et surtout la mémoire collective ont immédiatement orienté les investigations vers le proche voisinage du château de Quincivet. Plus précisément, un grand tilleul situé tout près du château était considéré par beaucoup comme un reste probable, sinon certain, du cimetière qui entourait l’église disparue. En deuxième lieu, le dépouillement en 2017 de documents issus des archives de l’Abbaye de Montmajour (2) apportait une autre information non négligeable : l’église se situait au sud du ruisseau dit « la Marguina », récemment renommé « le Quincivet » . C’est du moins ce qu’indique clairement le croquis ci-dessous, réalisé au début du 18e pour un motif bien précis.
Au siècle précédent, en raison d’une convention familiale établie entre deux frères, curés l’un de Murinais l’autre de Quincivet, deux paroisses voisines dépendant de l’Abbaye de Montmajour, certains habitants de Murinais qui se rendaient à l’église de Quincivet pour les offices religieux versaient leur dîme à ladite église. Au début du 18e siècle, les deux frères étant décédés, la convention fut dénoncée et Quincivet perdit une part de ses revenus. Le croquis réalisé à cette époque par le curé de Quincivet a pour objectif de situer les terres et les maisons de Murinais dont il revendique les dimes. C’est simplement pour mémoire que l’église apparaît tout en bas, schématiquement localisée entre le « chemin allant à Quincivet » et, côté nord, la « rivière de Chiavel », dénommée « ruisseau de Marguina » sur le cadastre napoléonien de 1830, aujourd’hui « ruisseau de Quincivet ». Il n’existe toutefois aucune raison de mettre en cause la fiabilité du document sur ce point.
Avec l’accord des propriétaires du château, et toute forme de fouille ou sondage étant formellement exclue, plusieurs types de prospections non invasives sont engagés autour du mythique tilleul. A commencer par l’exploration du terrain à l’œil nu, ou « prospection par observation » dans le vocabulaire de l’archéologie. A plusieurs reprises, chaque centimètre carré de la parcelle sera scruté à la recherche d’affleurements en surface pouvant traduire la présence souterraine de l’église ou du cimetière. L’espoir est d’autant plus grand que d’anciens occupants ou familiers du château, des voisins, des passionnés de patrimoine local, et bien d’autres, assurent avoir autrefois repéré dans ce secteur des éléments caractéristiques : seuil en molasse, pierres ou tufs de construction, tous éléments dont la provenance ne faisait pour eux aucun doute.
Alors que l’exploration par observation s’est essoufflée faute de trouvailles, et aussi, nous aurons l’occasion d’en parler prochainement, parce que la radiesthésie connaît dans les années 2010 un regain d’intérêt à Saint-Vérand, les sourciers entrent en scène. Le 19 octobre 2016, une opération de prospection rassemble plusieurs d’entre eux. Leur démarche consiste à rechercher de potentiels croisements de courants d’eau souterrains, traditionnellement considérés comme associés à l’implantation du chœur des églises romanes. En dépit de leur investissement passionné ils n’enregistreront aucun résultat probant.
En janvier 2017, c’est une autre page qui s’ouvre. Deux étudiantes en Génie Civil et Géotechnique à l’Université Grenoble-Alpes réalisent une prospection électromagnétique « basse fréquence » avec un appareil destiné à mesurer la conductivité électrique. Ce type de prospection permet de détecter des anomalies, des hétérogénéités ou des ruptures dans le proche sous-sol et, par analyse et interprétation, de les associer à d’éventuels vestiges tels que des fondations de bâtiments ou des restes métalliques. Pendant que les étudiantes opèrent sur une parcelle adaptée au matériel qu’elles utilisent, Stéphane Garambois, leur professeur, et un ingénieur préparent le radar avec lequel elles exploreront ensuite le terrain relativement exigu et encombré de végétation qui entoure le tilleul. Hélas ! Sans doute impressionné par l’ossature imposante de l’arbre (bien visible sur la photo d’ouverture du présent article) le radar refusera obstinément de fonctionner (3) !
Stéphane Garambois ayant changé d’affectation universitaire, Lionel Darras du laboratoire Archéorient (CNRS – Université Lyon 2), accepte de reprendre le dossier. Pour la deuxième campagne de prospection à Quincivet, menée en juillet 2018, Lionel Darras utilise une méthode différente de celles utilisées précédemment. A l’issue d’une première séquence de travail, qui inclut prioritairement mais sans résultat le secteur du tilleul et une grande superficie à l’ouest du château, il reste un petit surface qui à elle seule ne justifie pas une nouvelle opération. Il est donc décidé que, quitte à revenir, la prospection inclura la grande parcelle située à l’est du château, déjà explorée en 2017. Après traitement et interprétation, les données recueillies sur cette parcelle montrent des anomalies dans l’homogénéité naturelle du terrain. Ces anomalies du sous-sol, non perceptibles en surface, peuvent laisser supposer qu’il y a eu intervention humaine. S’agit-il des traces de l’église et du cimetière ?
Pour des questions de disponibilité, la prospection ne peut reprendre qu’en février 2021. C’est la troisième campagne de recherche non invasive à Quincivet. Lionel Darras et les deux étudiants qu’il encadre pour cette opération mettent en oeuvre plusieurs instruments de prospection géophysique pour explorer l’emplacement des anomalies magnétiques repérées en 2018, encadrées de jaune sur l’image ci-dessus.
« La recherche de l’église enfouie de Quincivet (Isère) par prospection géophysique multi-méthodes » fera l’objet d’une présentation par poster lors du Colloque d’archéométrie organisé à Chambéry du 2 au 6 mai 2022 (4). Le bilan global des trois campagnes est ainsi résumé : « Si les différentes cartes géophysiques semblent confirmer la présence de fondations d’un ancien bâtiment, elles ne permettent pas encore de caractériser avec précision le format de celui-ci et d’établir si ces traces correspondent au format d’une église du 11e siècle. Une étude complémentaire de corrélation entre les essais de restitution de la forme de l’église issus des anciens textes et ces cartes géophysiques pourra être menée afin de confirmer que ces résultats ».
NOTES
(1) L’église de Quincivet ferait-elle perdre le nord ? (14 septembre 2021) http://www.masdubarret.com/?p=2353 L’énigme de l’église disparue de Quincivet à Saint-Vérand (7 mars 2021) http://www.masdubarret.com/?p=1822
(2) Conservées aux Archives des Bouches-du-Rhône.
(3) La photo d’ouverture, prise en janvier 2017 au moment où le radar est « mis au sec » pour être examiné, donne à voir la structure foisonnante du tilleul. L’arbre est probablement tricentenaire.
(4) https://gmpca.fr/colloques-d-archeometrie/833-archeometrie-2021-chambery. Le poster a été alaboré par Lionel Darras, Quentin Vitale, Michel Jolland. Pour le consulter, suivre ce lien https://hal.science/ARCHEORIENT/hal-03690264v1
PHOTOGRAPHIES
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