Ce n’est pas parce qu’on ne voit rien qu’il n’y a rien
Par Michel Jolland
Dans les trois volumineux dossiers d’archives concernant majoritairement la paroisse de Quincivet (Fonds Montmajour, Archives départementales des Bouches-du-Rhône) on trouve huit « plans figuratifs des limites des paroisses de Murinais et Quincivet ». Deux d’entre eux mentionnent l’église de Quincivet, clairement positionnée au sud du ruisseau dit « la Marguina » sur le cadastre napoléonien et depuis peu renommé « le Quincivet ». Cependant, et même si, comme nous l’avons vu dans le précédent article, la mémoire collective situe volontiers l’emplacement de l’église perdue de Quincivet près du château, les recherches se sont à plusieurs reprises transportées au nord du ruisseau.
Discrètement, semble-t-il, « la Marguina » est sortie des documents officiels (1). Son nom, que nous conservons dans le présent document car il est encore largement utilisé dans les échanges de la vie quotidienne, a longtemps été une énigme à Saint-Vérand. En réalité le terme « Marguinaz » apparaît dans un acte du 26 mars 1635 inclus dans l’inventaire des biens de feu noble Gaspard de Brochenu pour désigner deux parcelles, regroupées sous le vocable « mas de marguinaz » dans le croquis ci-dessous, réalisé par le curé de Murinais dans les années 1770. Ce mas aurait-il transmis son nom au ruisseau ? C’est tout à fait plausible.
En 2013, personne à Saint-Vérand ne connaît le contenu des archives de Montmajour si bien que la Marguina n’a pas, dans la recherche de l’église de Quincivet, le statut de repère majeur qu’elle détient aujourd’hui. Cette année-là, une image aérienne en provenance du site de l’Institut national de l’information géographique et forestière (IGN) commence à circuler, accompagnée d’une affirmation qui semble laisser peu de place au doute : « On a retrouvé l’église de Quincivet dans le bois de la Garenne ! »
Au pays de Jacques Aymar (2), la sourcellerie et la radiesthésie font partie du patrimoine. Depuis des temps immémoriaux on a recours aux services d’un sourcier tout aussi naturellement qu’à ceux d’un autre artisan. En 2008, une conférence proposée par l’association patrimoniale Saint-Vérand Hier et Aujourd’hui a même pris l’allure d’un véritable congrès des sourciers locaux (3). C’est dans cette atmosphère d’intérêt renouvelé pour l’utilisation des baguettes de coudrier et des pendules que des visites de repérage plus ou moins confidentielles s’organisent sur le terrain. Le 18 janvier 2014, à l’initiative d’un groupe de radiesthésistes passionnés, une séance de prospection ouverte à tous rassemble une vingtaine de personnes. Il s’agit d’inspecter, pendule en main, divers lieux dont bien sûr l’emplacement présumé de l’église.
18 janvier 2014, Jean-Gilles Arribert à Quincivet. Photographie extraite du livret « De Jacques Aymar à Jean-Gilles Arribert – La Radiesthésie à Saint-Vérand » (juin 2017).
Sur le site repéré comme étant l’emplacement de l’église de Quincivet, le pendule tourne de manière impressionnante et confirme la présence d’une église enfouie sous trois mètres de terre, de son cimetière et de quelques habitations formant hameau. Pour certains participants, la démonstration n’est pas totalement convaincante. L’absence d’accès marqué, l’absence de rupture végétative et l’absence de toute trace matérielle, telles que des ruines ou des pierres tombales, ne permettent pas de confirmer l’existence en ces lieux de l’église et du cimetière. Par ailleurs, le site paraît exigu pour contenir l’ensemble annoncé – église, cimetière, habitations et donc jardins -, et l’affirmation selon laquelle l’église, attestée présente et fonctionnelle en 1802, serait en 2014 enfouie sous trois mètres de terre paraît pour le moins surprenante. Enfin, les documents d’archives disponibles, et notamment les procès relatifs à la construction du presbytère en 1790 et le cadastre de 1830, s’ils n’infirment pas formellement l’hypothèse avancée, ne contribuent en rien à la valider.
Le site en question, initialement identifié, rappelons-le, par une tâche blanche sur une vue aérienne, est situé dans une sorte d’amphithéâtre que l’on devine sur la vue ci-dessous, prise le 3 juin 2009 par les services de l’IGN. Lorsque l’on est sur le terrain, il est difficile de déterminer si cette rupture de relief relativement abrupte est d’origine naturelle ou si elle peut être attribuée à la main de l’homme. Cela nous conduit à tirer deux conclusions prudentes de la prospection du 18 janvier 2014. Premièrement, il est peu probable, surtout au vu des informations fournies depuis par les dessins figuratifs des archives de Montmajour, que l’église de Quincivet se trouve au nord de la Marguina. Deuxièmement, cela ne veut pas forcément dire que le pendule s’est trompé : rien n’autorise à écarter d’un revers de main l’hypothèse d’une anomalie souterraine de quelconque nature ou origine.
L’église de Quincivet intrigue depuis longtemps. Une Saint-Vérannaise décédée depuis peu se souvenait qu’au temps de son enfance, avant la guerre 1939-40, elle voyait, depuis un petit promontoire proche de la maison où elle vivait aux Terres Blanches, des ruines posées droit devant elle mais à bonne distance, de l’autre côté de la combe de Quincivet, tout près du bois de la Garenne. L’endroit avait mauvaise réputation et pour rien au monde elle ne s’en serait approchée. Pour être exact, elle parlait des ruines de « la chapelle » et non de l’église de Quincivet
Le mot chapelle ouvre tout un univers. De perplexité historique tout d’abord. Dans les documents d’archives, « l’église de Ste Marie de Quincivet » est confirmée à Montmajour par le pape Innocent III en 1204. Dans un document des années 1780, par lequel les paroissiens de Saint-Vérand entendent démontrer qu’ils n’ont pas à payer pour l’entretien de l’église de Quincivet, on lit qu’en 1643 ce n’était qu’une « chapelle sans cloche ni clocher » et qu’elle n’aurait à l’origine été « qu’une chapelle domestique pour la commodité du château ». S’il est possible que le bâtiment religieux de Quincivet n’ait été doté d’un clocher qu’après la création de la paroisse du lieu en 1644, il est peu probable en revanche que le château ait été contemporain de la bulle papale émise par Innocent III en 1204.
La mémoire collective est friande de lieux mystérieux tels que les chapelles disparues. Depuis que les recherches de l’église ont attiré l’attention sur Quincivet, plusieurs ont été signalées dans le secteur, avec plus ou moins de conviction et de précision. En tout cas l’expédition montée en 2020 pour repérer des traces de celle mentionnée par la vieille dame habitant autrefois les Terres Blanches n’a rien donné. Là encore, nous tirerons deux conclusions simples. D’une part, la bonne foi de son témoignage n’est pas en cause, d’autre part, et comme le précise le rapport des étudiantes à l’issue de la prospection géomagnétique de 2017, « ce n’est pas parce qu’on ne voit rien qu’il n’y a rien ».
NOTES
(1) Dénommée « rivière de Chiavel » ou « rivière d’Argentenas » sous l’Ancien Régime, « Marguina » sur le cadastre de 1830 et celui de 2010, subrepticement devenue « ruisseau de Quincivet » sur les documents topographiques et le cadastre actuel.
(2) Voir http://www.saint-verand.fr/5330-les-personnalites-historiques.htm. Le Mas du Barret a par ailleurs consacré, les 8 et 17 novembre 2021, deux articles à l’un des sourciers du village, surnommé « Biscuit ».
(3) Conférence donnée, en présence de nombreux sourciers locaux, par Bernard Giroud, chroniqueur historique au journal Le Mémorial, sous l’intitulé « Jacques Aymar (1657-1707), le sourcier-devin de Saint-Vérand qui stupéfia le Royaume ».
PHOTOGRAPHIES
Le croquis mis en exergue est extrait d’un plan figuratif (Fonds Montmajour, Archives des Bouches du Rhône. Voir notre article précédent http://www.masdubarret.com/?p=3319
La photographie de Jean-Gilles Arribert provient du Cahier de Saint- vérand Hors-série n° 5 « De Jacques Aymar à Jean-Gilles Arribert – La Radiesthésie à Saint-Vérand » (auteurs : Michel Jolland et Jacques Roux ; éditeur : association Saint-Vérand Hier et Aujourd’hui ; juin 2017).