Le mas du Barret

Journée Münzenberg en Dauphiné – Un témoin raconte

Par Michel Jolland

Dans le cadre du programme « Voyage dans le temps, histoire et mémoire », initié et soutenu financièrement par le Fonds citoyen franco-allemand, « l’Association Européenne Willi Münzenberg » (AEWM), en partenariat avec la commune de Montagne et le « Groupe Gammon, relais de mémoire en Vercors » a organisé, le 14 juin 2023 à la salle des fêtes de Montagne, une manifestation publique intitulée « Journée Willi Münzenberg en Dauphiné ». Le Mas du Barret a si souvent évoqué ce personnage historique qu’il ne résiste pas à la tentation de lui consacrer une nouvelle page. Plus qu’un compte rendu chronologique complet, c’est une note indicative unqui est proposée ici.

En octobre 1940, Willi Münzenberg, réfugié allemand, est inhumé dans le cimetière de Montagne. Pour les habitants du village, comme pour l’immense majorité des Français, c’est un inconnu dont, progressivement, on va découvrir le parcours personnel et l’action politique. Son engagement dans le communisme, son action contre l’impérialisme, le colonialisme et le fascisme, ses innovations dans l’utilisation des médias, ses combats contre Hitler et Staline, sa disparition dans des circonstances obscures, ont depuis fait l’objet de nombreux débats et publications

En 1933, Willi Münzenberg quitte l’Allemagne pour se réfugier à Paris. Devenu apatride, privé de tout, il parvient, grâce à son esprit combatif et à son intelligence stratégique, à constituer en quelques mois un centre de lutte active contre le nazisme. Il acquiert les Éditions du Carrefour et, avec l’aide de collaborateurs réfugiés comme lui, il centralise des renseignements, des documents, des témoignages en provenance d’Allemagne. 

L’Incendie du Reichstag en février 1933 va lui donner l’occasion de faire connaître ces informations. Publié dès le mois d’août, son « Livre Brun sur l’incendie du Parlement et contre la terreur hitlérienne » non seulement met à mal l’accusation portée par le régime hitlérien contre les communistes, mais de plus rapporte, de manière très documentée, les méfaits du nazisme : répression des mouvements ouvriers et démocratiques, violence antisémite, meurtres et exactions, élimination de toute forme d’opposition intellectuelle.  Traduit en 17 langues, tiré à plusieurs centaines de milliers d’exemplaires et largement distribué,le livre brun connaît un fort retentissement international. De plus, Münzenberg et ses amis organisent à Londres le contre-procès des accusés de l’incendie du Reichstag, ce qui donne lieu au deuxième livre brun, « Dimitrof contre Goering ». Le verdict du contre-procès, qui intervient la veille de l’ouverture, le 21 septembre 1933 à Leipzig, du procès officiel devant la cour suprême d’Allemagne, renverse la situation : les accusateurs, Goering en tête, doivent venir à la barre se défendre alors que leur principal accusé, Dimitrov, est acquitté.

Madame Micheline Revet : « S’il est une année dans l’histoire du 20e siècle qui est à marquer d’une pierre noire, c’est bien l’année 1933… »

Le destin a voulu que Münzenberg vienne mourir à Montagne. Il est d’abord inhumé dans ce que le plan du cimetière dressé en 1948 nomme « les fosses communes ». Sa femme, Babette Gross s’active pour lui donner une sépulture décente. Cependant, compte tenu des difficultés de l’après-guerre, il faudra attendre 1948 pour que soit apportée la dernière touche, à savoir la stèle et l’inscription funéraire que nous voyons encore aujourd’hui. A trois reprises, en 1947, 1951 et 1956, Babette viendra sur la tombe dont elle pourvoira financièrement à l’entretien jusqu’au début des années 1970. Ensuite des habitants de Montagne prendront bénévolement la relève et la tombe sera régulièrement fleurie. De nos jours encore, des mains anonymes y déposent des bouquets. Cependant, peu à peu, le modeste monument funéraire se dégrade.

En 2022, l’Association Européenne Willi Münzenberg voit le jour et se donne comme objectifs de poursuivre les recherches autour de ce personnage historique, d’honorer sa mémoire, d’entretenir sa tombe. Sous l’impulsion du partenariat franco-allemand qui s’engage alors, la tombe est soigneusement restaurée. Seule la stèle reste terne et triste. Les préparatifs liés à la présente manifestation ont permis de redonner à cette stèle en bas-relief son aspect d’origine et, heureuse surprise, de découvrir qu’elle est en pierre et non en béton comme on l’a longtemps supposé. L’association envisage d’autres aménagements en 2024, dans le respect de la sobriété initiale de la tombe.

Madame Magali Teyzier : « La stèle en bas-relief est une véritable oeuvre d’art funéraire »

A Berlin, sur la place Frantz Mehring devant le siège de la « Fondation des Héritiers de Münzenberg », un noyer a été récemment planté pour établir un lien symbolique avec le Dauphiné et la tombe de Montagne. Ce geste ne vise pas seulement à commémorer le passé. Il entend aussi rappeler la nécessité d’envisager les problématiques de notre temps à la lumière de l’histoire.  En France et en Allemagne des idéologies nationalistes se développent. L’héritage politique de Münzenberg nous invite au contraire à travailler ensemble, en réseau par-delà les frontières, dans le cadre de larges initiatives rassemblant des acteurs différents. Aussi modeste soit-elle, la coopération engagée entre la Fondation et  l’Association Européenne Willi Münzenberg s’inscrit dans cette perspective : elle contribue à renforcer les relations personnelles et culturelles entre nos régions, entre nos pays.

Docteur Matthias Schindler : « La coopération entre la Fondation des héritiers de Münzenberg et  l’Association Européenne Willi Münzenberg contribue à renforcer les relations personnelles et culturelles entre nos régions, entre nos pays ». Traduction : madame Angelika Dubuis.

C’est pour satisfaire à cette exigence que les débats à Montagne ont tenu à rappeler qu’en  1938, dans une période où l’antagonisme entre la France et l’Allemagne est à son comble, Münzenberg a l’audace et le courage de fonder l’Union franco-allemande. Il conçoit cette union, qui rassemble des centaines d’hommes et de femmes venus d’horizons divers (politique, littéraire, artistique…), comme une nécessité historique. Pour lui, c’est non seulement une initiative destinée, dans la tradition de la grande Révolution française, à défendre les libertés, la démocratie et la dignité humaine, mais aussi un moyen d’empêcher Hitler de faire éclater la deuxième guerre mondiale. C’est pour cela que cette union de germanophones réfugiés et de citoyens français, tous résolument antihitlériens, entend dépasser les horizons nationaux pour construire une nouvelle Europe. L’exemple donné par Münzenberg reste d’actualité. Nous devons continuer à promouvoir l’union franco-allemande pour contrer la renaissance de nationalismes agressifs.

Docteur Bernhard H Bayerlein : « Münzenberg a très tôt incarné la perspective franco-allemande… »

A Montagne, village qui regarde vers le Vercors, il a paru naturel de rapprocher la démarche de Münzenberg et celle d’un grand écrivain et grand résistant français. Né en 1901, Jean Prévost pacifiste, germanophile, est mort chef de maquisards en 1944. Écrivain et journaliste, il parle allemand, il écrit des articles sur Goethe, il traduit des poèmes. Tout au long de sa vie, sa pensée, ses paroles et ses actes seront marqués par une liberté d’esprit qu’il revendique et cultive. Il juge indignes les conditions imposées à l’Allemagne par le traité de Versailles et il n’hésite pas à écrire « J’aime encore les Allemands » peu après l’arrivée d’Hitler au pouvoir. Il est pacifiste, il dénonce les malheurs de la guerre, mais il estime qu’il faut savoir dépasser le pacifisme lorsque la liberté et la dignité humaines sont en jeu. En 1943, il s’engage dans la Résistance en Vercors, il prendra le commandement d’une compagnie sous le nom de capitaine Goderville et il mourra sous les balles ennemies en juin 1944. Rien, a priori, ne destinait  Willi Münzenberg et Jean Prévost à se retrouver réunis dans une manifestation consacrée à l’histoire et à la mémoire. Rien si ce n’est que chacun d’eux, avec sa personnalité, ses aspirations et son parcours, connaissait le sens et le prix de l’unité franco-allemande pour la construction d’une Europe démocratique et fraternelle

Monsieur Jean Jullien : « Willi Münzenberg-Jean Prévost ; deux hommes, deux pays, deux parcours, une même Europe, une même aspiration – la fraternité »

Madame Corinne Mandier, maire de Montagne, qui à l’ouverture de la manifestation avait souhaité la bienvenue aux intervenants et au public, a chaleureusement remercié tous les participants en fin de séance. Ceux-ci se sont dirigés vers les nombreux ouvrages exposés, dont un imposant ensemble de reproductions de Die Zunkunft, le journal de rassemblement antinazi publié par Münzenberg de 1938 à 1940, et la thèse de Jean Prévost Création chez Stendhal. Les échanges se sont poursuivis autour du verre de l’amitié.

Madame Corinne Mandier : « La soirée a été riche en informations. Je tiens à remercier les intervenants, nos amis Allemands présents ici ce soir, et toutes les personnes qui ont participé à la Journée Willi Münzenberg en Dauphiné ».

A montagne, le 13 juin 2023, la démonstration a été faite une nouvelle fois : la mort physique de Münzenberg ne l’a pas condamné à sortir définitivement de l’Histoire.

NOTE

Toutes les photographies sont des copies d’écran extraites de fichiers MP4 enregistrés, dans de délicates conditions d’éclairage, par René Guigard pour l’Association Européenne Willi Münzenberg. Droits réservés.